Archives de catégorie : Lecture

Mes lectures aident à me forger une opinion, et m’inspirent certaines réflexions.

Le petit livre noir des grands travaux inutiles

Les grands chantiers de construction ont-ils encore leur place dans nos riches contrées ? Non, nous dit ce petit livre.

Sacrée croissance

L’an passé a vu se concrétiser deux projets journalistiques que j’ai soutenus par le crowdfunding. Il y a eu le reportage “Sacrée croissance”, passé en télévision il y a quelques mois. Ensuite ce “petit livre noir des grands travaux inutiles” , objet d’un financement dans Ulule.

Ce n’est qu’après coup que je me suis rendu compte que, quelque part, les deux projets ont un point commun : ils dénoncent l’obsession qu’ont nos dirigeants pour la croissance.

Les grands projets inutiles illustrent parfaitement les limites d’un système économique et politique en guerre avec le vivant sous toutes ces formes. L’idée d’une croissance illimitée bute sur les limites de l’écosphère. Promoteurs zélés de l’ordre productiviste, responsables politiques et décideurs économiques n’arrivent à faire leur deuil d’une croissance destructrice.” (p. 26)

Camille est en rogne

On doit ce livre à “Camille”, prénom générique laissant ses auteurs dans l’anonymat, et évitant que certains d’entre eux profitent d’une médiatisation. L’auteur est donc une sorte d’anonymous, ce qui n’enlève rien à la crédibilité de l’ouvrage : on est dans le contestataire et le militant, et c’est bien cela qu’on attend.

Mais au fait, pourquoi tant défiance vis-à-vis de ces projets d’autoroutes, de centrales nucléaires, d’aéroports, de trains à grande vitesse et j’en passe ?

Parce qu’ils ne sont plus en phase avec les contraintes écologiques et sociales de notre époque. Ces projets ne sont que des fuites en avant, révélant un “manque d’imagination des décideurs politiques qui s’accrochent aux vieilles recettes des trente glorieuses devenues, vingt ans plus tard, les cinquante gaspilleuses.” (p. 10)

C’est autant d’argent qui pourrait être investi dans la transition énergétique et l’économie sociale.

Stop aux projets inutiles
Stop aux projets inutiles

10 millions d’euros le kilomètre

Le livre est français, et relate donc des projets de nos voisins. Dès lors il n’est pas étonnant qu’une bonne partie des chantiers d’autoroute soient épinglés : le pays ne devrait-il pas réduire son transport routier, après le Grenelle de l’environnement ?

Le livre dénonce une dizaine de projets destinés à faire couler des kilomètres de béton, bien souvent au détriment de zones naturelles protégées.

Par exemple, la construction de l’A65 entre Pau et Langon, traversant six zones Natura 2000, et arborant fièrement un label “grenello-compatible”. Soit 150 km reliant deux petites villes, qui coûtent 1 milliard et demi d’euros. Pendant ce temps les Chinois refont l’unique route reliant Nairobi (Kenya) à Dar-es-Salaam (Tanzanie), pour dix fois moins cher, et impactant 80 millions d’habitants. “Les besoins de routes sont là-bas, la pensée magique est ici.” (p 63)

31 millions d’euros le kilomètre

Allez, au hasard ou presque, voici encore trois projets contestables :

Joindre l’inutile à l’agréable

Le livre s’inscrit dans la contestation générale. Le citoyen n’a plus peur de dire ce qu’il en pense, voire d’aller sur le terrain pour créer des ZAD : zone à défendre (en fait, un détournement du terme administratif zone d’aménagement différé !) La mobilisation autour du futur aéroport de Notre-Dame-Des-Landes en est l’emblème.

Des dizaines de ZAD ont fleuri en France, rassemblant des paysans, des luddites (antitechnologie), des anarchistes et libertaires, des décroissants, des étudiants et des retraités, des urbains et des ruraux : “un véritable petit peuple de l’écologie et de la transition, qui expérimente, grandeur nature, la permaculture, fabrique éoliennes et fours solaires, invente de nouvelles formes de démocratie horizontale etc.” (p. 99)

Et ces mobilisations fonctionnent, comme en témoigne l’abandon du circuit de F1 dans les Yvelinnes.

Notre très militante Camille peut donc conclure de manière positive : “La mobilisation et la détermination peuvent avoir raison de l’entêtement de quelques-uns.

“Le petit livre noir des grands travaux inutiles”, 124 pages, Le passager clandestin

Face au monolithisme d'un système à bout de souffle, ces mille et une luttes nous disent une chose : nous voulons vivre et non plus survivre. Tout simplement. (p. 101)

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La fabrique du mensonge

La science est-elle manipulée par l’industrie et les intérêts économiques ? Oui, nous explique ce livre. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Au contraire…

8 millions de morts par ignorance

Aujourd’hui, des industriels parviennent à occulter des faits et fabriquer des idées trompeuses en recourant à des arguments puisés dans la science elle-même. Cette instrumentalisation de la science permet de transformer l’outil voué à produire de la connaissance en machine à fabriquer du mensonge et de l’ignorance.” (p. 369)

Stéphane Foucart, journaliste scientifique au journal Le Monde, a fait de la tromperie scientifique son cheval de bataille. Dans sa ligne de mire, ces scientifiques et experts soutenus par les industriels, qui entretiennent la polémique sur des sujets mettant en péril les intérêts de leurs financiers.

Fred Singer ne croit pas au tabagisme passif et à l'origine anthropique du réchauffement climatique. Il tient une bonne place dans ce livre !
Fred Singer ne croit pas au tabagisme passif et à l’origine anthropique du réchauffement climatique. Il tient une bonne place dans ce livre !

Pour comprendre le danger de telle pratiques sur notre société, il suffit de se rappeler un cas d’école : l’industrie du tabac qui a réussi à maintenir le doute sur la nocivité du tabac, de la nicotine, puis du tabagisme passif. “Pendant près de quatre décennies, ceux que l’on surnomme Big Tobacco ont financé des milliers de projets de recherche en fonction de leur intérêt stratégique.” (p. 24) Le but n’étant pas de faire avancer les connaissances, mais bien de “[…] faire du doute scientifique l’un des moteurs de la démarche scientifique, un instrument de communication pour ralentir le rythme d’acquisition des connaissances, et surtout sa perception par les décideurs puis le public.” (p. 55)

Et ça fonctionne. Ainsi, la reconnaissance du caractère cancérigène du tabac, en 1964 aux États-Unis, aurait dû arrivé dix ans plus tôt. On estime à huit millions de morts les dégâts dues à cette prise de conscience sur le tard.

Des recettes qui marchent

Ce que le Big Tobacco a fait est devenu une source d’inspiration pour d’autres industries. Et on retrouve parfois les mêmes acteurs – cabinets d’avocats, scientifiques, dirigeants – pour semer le doute dans les grands débats comme le réchauffement climatique, les OGM, l’extinction des abeilles ou les maladies endocriniennes.

Les recettes sont les suivantes :

  • Financer des travaux de recherche qui permettent de “diluer un problème par la documentation d’autres problèmes“. Comme le rôle des prédateurs naturels sur les abeilles, le caractère génétique du cancer, ou le rôle du soleil sur le climat.
  • Surmédiatiser les travaux susmentionnés (publication dans les revues, colloques, annonces dans la presse), pour faire croire à un équilibre entre les différentes théories qui s’affrontent.
  • Monter des organisations ou des think tanks au nom ronflant pour donner des “avis éclairés” . Comme le Global Warming Policy Fundation (industries du pétrole et du charbon), l’International Center for a Scientific Ecology (industries de l’amiante et du tabac), l’International Commission on Plant-Bee Relationships (industries chimiques).
  • Monter des initiatives et les faire passer pour des mouvements contestataires de scientifiques, comme l’appel d’Heidelberg.
  • Placer des gens en conflit d’intérêt dans des organes de décisions, comme dans la contestée EFSA.

Deux et deux font cinq

La saga des insecticides systémiques restera probablement comme le plus vaste détournement de la démarche scientifique entrepris depuis les années 1960 […] Désormais, une grande part de la population et de leurs représentants politiques doutent sérieusement qu’imprégner de neurotoxiques des plantes cultivées sur des millions d’hectares puisse avoir le moindre effet sur les abeilles et les pollinisateurs.” (p. 278)

L’extinction des abeilles fait partie des grandes préoccupations de ce XXIème siècle. Mais l’industrie agrochimique “organise la cécité” en employant toutes les méthodes décrites plus haut.

Et les apiculteurs se demandent pourquoi c’est un organisme non officiel, l’International Commission on Plant-Bee Relationship, qui dicte les recommandations pour faire des recherches sur cet hécatombe ? “Lorsqu’on voit les trésors d’ingéniosité déployés par les chercheurs des organismes publics dans leurs protocoles expérimentaux, on ne peut qu’avoir inconsciemment à l’esprit qu’il n’est pas si évident que les insecticides tuent les insectes.” (p.282) Donc voilà : c’est pas sûr que les insecticides tuent les insectes !

Et deux et deux font cinq, expliquaient les fonctionnaires du Parti, dans “1984” de Georges Orwell.

Merci au Competitive Enterprise Institute pour cet avis optimiste (en résumé : non il n’y a pas de réchauffement, et il ne faut surtout pas réduire nos dépenses d’énergie)

La force de l’incertitude

La science est fragile” , nous écrit l’auteur. Avec son livre, nous appréhendons la difficulté d’arriver à des conclusions irréfutables, et c’est là-dessus que joue l’industrie du mensonge.

Mais ne croyez pas que c’est toujours l’industrie qui brouille les cartes : le camp adverse utilise parfois les mêmes techniques. Il en est ainsi avec l’étude de Séralini et ses fameux rats atteints de tumeurs après avoir consommé du maïs transgénique. “[l’étude] a été construite pour produire de l’incertitude” (p. 341) : il aurait fallu plus de rats, et surtout pas cette race (le Sprague-Dawley), connue pour développer spontanément des tumeurs mammaires.

Je referme ce livre avec un goût amer : alors que nous vivons dans une société d’information, la vérité et le savoir sont corrompus par des intérêts économiques.

Et ce n’est pas la dernière phrase du livre qui me rassurera : “[…] l’incertitude et l’ignorance sont devenus bien plus que ce qu’ils étaient dans les siècles passés. Ce ne sont plus seulement des instruments de pouvoir et de domination. Elles sont devenues des forces capables de modeler la face du monde.

“La Fabrique du mensonge”, Stéphane Foucart, 405 pages, Folio

"Une part de l'activité des grandes entreprises consiste aujourd'hui à manipuler la science, pour instiller le doute." (4ème de couverture)

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Où allons-nous vivre demain ?

La Terre va arriver à saturation : pouvons-nous la quitter pour vivre ailleurs ? Voici un livre qui nous donne des éléments de réponse, au moment où un film fait l’actualité.

Sèche ou surpeuplée

Voici un livre vraiment bizarre. En fait, je ne comptais pas vous en parler : sa première partie repose sur un postulat discutable, et la seconde navigue entre philosophie, poésie et (science-)fiction. Difficile d’en tirer quelques enseignements !

Mais voilà, je terminais ce livre alors que j’allais voir “Interstellar” , de Christophe Nolan, traitant le même sujet. De plus, voici quelques semaines, je lisais Stephen Hawking : de quoi remettre de l’ordre dans tout cet imaginaire.

Alors donc, l’homme doit se trouver d’autres planètes s’il veut survivre. Car notre Terre deviendra toute sèche, comme l’imagine notre cinéaste. Ou elle sera surpeuplée, comme nous écrit Alfred Vidal-Madjar, dans son livre “Où allons-nous vivre demain ?”

Surpeuplée, vraiment ?

Un livre sans gravité ?
Un livre sans gravité ?

Riz et nénuphars

L’auteur est directeur de recherche au CNRS, il travaille sur les planètes extrasolaires à l’Institut d’astrophysique de Paris et enseigne la physique à l’École polytechnique (source : Wikipedia).

Mais il n’est pas démographe.

Or, son livre commence par nous alerter sur la surpopulation, qui va nous exploser à la figure. Car la population s’accroit à un rythme exponentiel. Et pour bien nous le faire comprendre, plusieurs dizaines de pages sont consacrées aux puissances de deux, aux grains de riz sur l’échiquier, aux nénuphars dans l’étang, aux microbes se reproduisant par division cellulaire. Bref, l’auteur nous fait prendre conscience du danger des progressions exponentielles, que notre nature humaine sous-estime.

Mais l’humanité ne se multiplie pas comme des microbes : les sociétés évoluent, et les projections sont bien plus subtiles qu’une multiplication par deux. La surpopulation est un concept, pas une réalité. Le livre commence donc mal, même si je partage avec l’auteur son inquiétude quant à l’impact de tant d’humains sur notre environnement.

Ce n’est donc qu’à la moitié du livre que nous entrons dans le sujet, celui justifiant son titre.

Le grain de sable et l’orange

La Terre est un grain de sable tournant en un an autour d’une orange, le Soleil, placé à 5 mètres de là. Quant à la lune, elle est une poussière tournant à 2 centimètres autour de notre grain de sable.

Jupiter est une noisette à 25 mètres. Et Neptune, qui marque la fin de notre système solaire, est à 200 mètres. On l’atteindrait en quelques années.

Alors on peut rêver : ces planètes ne sont pas inaccessibles. Mais entre le très chaud et le très froid, l’homme n’y trouvera pas beaucoup de confort. Et puis le système solaire sera vite surpeuplé à son tour.

On se tournera donc vers les étoiles.  Lesquelles ? Toutes ! “Nous savons en effet qu’autour d’une étoile sur deux un autre système planétaire attend. Des centaines de milliards sont là, disponibles […]” (p. 135)

Mais l’étoile la plus proche est une orange à 1.300 km ! Soit quatre cent années de voyage si seulement nous atteignions un centième de la vitesse de la lumière. Vivement les moteurs à fusion nucléaire, et l’hibernation !

A moins que nous passions par un “trou de ver” ?

Nous ne sommes que des particules

C’est ce que suggère Christophe Nolan dans son dernier film. Mais ce ne sont que des concepts mathématiques : leur existence dans l’univers n’est pas avérée.

Par contre il existe bien des trous noirs, que la science-fiction aime utiliser pour nous envoyer dans des endroits où temps et lumière se distordent, ce qui nous vaut des histoires improbables. Mais passer dans un trou noir ne serait qu’une pure fantaisie. C’est Stephen Hawking qui nous le dit : “[…] si vous sautez dans un trou noir, vous vous faites totalement écrabouillé. Néanmoins, en un certain sens, les particules qui composent votre corps passent dans un autre univers.” (“Trous noirs et bébés univers”, p. 150).

Vieux de deux minutes

Voir des humains vivre en dehors de notre système solaire risque bien de rester de la science-fiction.

Et le fait de ne pas entrer en contact avec des civilisations extra-terrestres devrait nous conforter dans cette idée. En ramenant l’âge de l’univers sur une échelle de temps d’un an, l’homme est vieux de deux minutes, et Jésus-Christ est mort il y a cinquante secondes. Cette échelle est aussi valable pour des civilisations qui auraient vu le jour sur d’autres planètes : elles n’auraient durer que quelques minutes, sans réussir à quitter leur système solaire. Sans avoir le temps de nous croiser.

Mais on peut toujours espérer que l’homme soit l’exception, et devienne la première créature à quitter son système. Après tout, il ne lui faudra sans doute que une ou deux “secondes cosmiques” pour conquérir le système solaire. Il sera alors moins vulnérable aux caprices de notre Terre, et pourra se préparer au grand saut jusqu’aux étoiles.

Et on sera rappellera alors le message d’Interstellar : “L’homme est né sur terre. Rien ne l’oblige à y mourir.

Invasion of the saucer-men edited
Finalement c’est peut-être préférable de ne pas croiser d’autres civilisations !
  • Où allons-nous vivre demain ?” , Alfred Vidal-Madjar, 170 pages, Hugo & Cie
  • Interstellar” , Christophe Nolan, 169 minutes
  • Trous noirs et bébés univers” , Stephen Hawking, 205 pages, Éditions Odile Jacob
  • Et puis il serait dommage de ne pas mentionner l’excellent roman “Spin” de Robert Charles Wilson, à la croisée des thèmes abordés dans cet article…

"Tant que des idées telles que « libéralisme et croissance » tiendront le haut du pavé, il sera impossible d'imaginer une issue positive." (p. 164)

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