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Philippe Patouraux, ou l’envie de faire bouger les lignes

Vouloir changer le cours des choses, c’est plus qu’un souhait pour Philippe Patouraux : c’est son métier. Cela faisait longtemps que je voulais l’interviewer, mais pour aborder un professionnel du “développement soutenable”, j’avais besoin d’un bon bagage : après plus d’un an de lectures et de blog, je me sentais prêt.

Voici le compte rendu de 1h32 d’interview informelle…

A la recherche des valeurs citoyennes

Philippe habite la Cité Radieuse (Le Corbusier) : tout un symbole !
Philippe habite la Cité Radieuse (Le Corbusier) : tout un symbole !

Sociologue de formation, mais “touche à tout” qui l’a fait exercer quelques métiers sans rapport avec nos préoccupations, Philippe est arrivé au constat que les valeurs des individus ont du mal à s’exprimer dans les organisations : “Je me suis rendu compte à quel point les organisations sont capables de réduire à néant les potentiels des individus. Et comme la distance est parfois abyssale entre l’évolution des valeurs dans le société civile et celle dans les entreprises.

Quand, arrivé en France, il a un patron “pas terrible”, c’est l’emploi de trop qui le fait décider de changer de cap : il se met à son compte, se consacrant aux thématiques de la “durabilité”.

Il est installé depuis une dizaine d’années à Marseille, mais c’est récemment qu’il fonde, avec trois autres associés, une société coopérative : Territoire & Environnement. Le but est de former et accompagner des collectivités (villes, communes…) pour, par exemple, mettre en place un Agenda 21 local ou un Plan Climat. Tout comme d’assister les entreprises dans des démarches R.S.E. (Responsabilité sociétale des entreprises) : les diagnostics énergétiques y ont une bonne part, mais Philippe est spécialisé dans un autre domaine, celui de l’humain.

Humains après tout

Et c’est même son cheval de bataille, considérant son rôle comme facilitateur et non comme un consultant prodiguant ses connaissances. Car il s’agit de mettre en place une  “bonne gouvernance”, et cela passe par faire exprimer la créativité des membres de l’organisation.

La connaissance, elle est là. Simplement, aujourd’hui, toutes les organisations n’ont pas la capacité de permettre à cette connaissance de s’exprimer dans l’entreprise. Donc le facilitateur va aider les salariés, les employés, etc, à exprimer toute leur créativité et les idées novatrices.

Et pourquoi tout ça, Philippe ? Eh bien, pour “saisir la bonne idée qui nous permettra justement d’aborder les choses autrement, plus respectueuses de l’environnement et de l’humain” . Car il faut faire adopter le développement durable non pas pour la rentabilité mais pour donner libre court au potentiel créatif des employés.

Vous l’aurez compris : Philippe ne cherche pas la confrontation ou la culpabilisation : professionnel de la nature humaine, il sait que le changement de comportement se fera par l’incitation, l’envie, et non par la contrainte.

Facilitateur Probe

Mais comment tout cela fonctionne-t-il, concrètement ?

En fait, Philippe et son équipe sont facilitateurs PROBE : “On est capable d’évaluer la durabilité d’une organisation, à partir d’une auto-évaluation, et ce en une journée” .

PROBE est un outil d’évaluation qui couvre tous les sujets de la durabilité, tout en clarifiant ce terme, pour arriver à des mesures concrètes : les points forts et les points faibles, mais aussi de se comparer à d’autres entreprises, dans le même secteur d’activité par exemple.

Cette évaluation est faite par un “consensus d’équipe”, càd que ce sont les employés qui répondent aux questions, d’où l’importance des “facilitateurs” comme Philippe. Le patron ne se trouve pas à la même table : “On veut qu’il y ait une liberté de parole, où les choses soient dites ! Et parfois on a des surprises, entre la vision du patron et celle de ses employés ! ” .

Nous avons vu en début d’article que Philippe était mécontent de la place de l’individu dans les organisations : avec son activité de facilitateur, il a trouvé exactement le bon rôle pour faire changer cet état de fait !

Financer l’invisible

A côté de cette activité, Philippe a co-créé Next World, une association pour “Penser au futur, agir au présent”. Au départ plateforme d’information pour une transition vers la durabilité, elle est devenue depuis peu un fond de dotation : “Dans les années qui viennent, notre but est d’avoir des petites sources de financement pour des petites expériences innovantes, au niveau d’un territoire, très localement : on veut financer l’invisible, ces toutes petites organisations qui ont des idées innovantes, et qui généralement n’entrent pas dans les cases de l’aide publique.

Ce financement vient d’entreprises et de leaders ayant envie de faire bouger les choses, en expérimentant de manière très concrète : c’est du mécénat, tout simplement. Mais était-ce utile de créer une énième fondation, n’aurait-il pas pu rejoindre une des nombreuses associations existantes ?

C’est la diversité : c’est bien d’en avoir, que le pouvoir ne soit pas toujours dans les mains des mêmes. Et puis nous ne voulons pas financer des projets à l’autre bout de la planète : on va financer des projets locaux – nous sommes dans une région où il y a vraiment besoin de ça.

En phase

Tout cela est bien beau, mais est-ce que ça “nourrit son homme” ?

J’en vis raisonnablement” (Philippe a une épouse, qui travaille, et deux enfants), il y a des hauts et des bas, mais, par la force des choses, il a compris qu’il n’était pas câblé pour une “carrière monolithique dans une entreprise” (ndlr : aïe,  je vais fêter mes 25 ans de carrière dans la même société en 2014 !) : “Tu prends toute la dimension de ton que tu peux avoir, une certaine liberté de dire les choses et de les faire, tu es en phase avec ce que tu es.”

Quand un informaticien prépare un interview...
Quand un informaticien prépare un interview…

Entre pessimisme et optimisme

Philippe veut changer le monde, et il en fait même son métier. Je ne pouvais dès lors éviter la question : quel espoir as-tu pour l’avenir ?

Je ne sais pas. Je suis des fois optimiste, des fois pessimiste” (ndlr : c’est par Philippe que j’ai eu connaissance du livre “Le Cygne Noir” de Nicholas  Taleb, pour qui répondre “Je ne sais pas” est bien plus sage que de se prononcer, comme le font tant d’experts). “Je pense que l’homme est capable de changer les choses, d’avoir des sursauts. Mais en fait ce que je crains le plus, c’est l’obscurantisme !” . Car, que ce soit dans son entourage ou dans les réseaux sociaux, Philippe est frappé par des idées qui ressurgissent, qu’il pensait appartenir au passé, et qui pourraient mettre à mal notre démocratie : “La démocratie n’est pas acquise : c’est une chose qui s’entretient” .

Voilà pourquoi Philippe croit beaucoup en la pédagogie et l’éducation : c’est par la connaissance que les gens changent de comportement, et il constate déjà une prise de conscience chez ses enfants.

Quant aux adultes, il faudrait qu’ils sortent du jugement permanent, qu’ils changent de posture face aux événements, et qu’ils développent leur sens critique…

… et c’est bien le but de mon blog.

Merci Philippe !

Changer le comportement des gens par l'incitation, plutôt que par la culpabilisation et la contrainte...

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Mobilou lit "La mondialisation expliquée à ma fille"

La mondialisation racontée à sa fille

J’écrivais, la dernière fois, que les trois quarts de l’humanité étaient à la traîne, ne profitant pas d’un confort comme le nôtre. A ma question “Ont-ils une chance de s’en sortir ?”, Oswaldo De Rivero répondait que ce n’est pas la mondialisation qui les aidera !

Écoutons maintenant André Fourçans, qui nous explique quasiment le contraire…

La fille du professeur

Mobilou lit "La mondialisation expliquée à ma fille"
La mondialisation expliquée à Mobilou

André Fourçans est professeur d’économie, et s’adresse à sa fille avec ce livre : “La mondialisation racontée à ma fille”.

Didactique, facile à lire, cet ouvrage a comme but premier de remettre les pendules à l’heure : on a beau parler des choses qui vont mal, globalement, l’humanité va vers un mieux, grâce à la mondialisation. L’auteur tente de nous rassurer en 21 thèmes, comme la pauvreté, l’environnement, l’emploi, le vieillissement, la culture, les multinationales…

Survolons-en quelques-uns, en prenant garde de ne pas déborder sur l’économie, objet d’un “L’Économie raconté à ma fille”, que je ne manquerai pas de lire aussi…

Des pays spécialisés

La mondialisation, c’est appliquer à la planète la gestion optimisée des ressources et compétences. C’est ainsi, et il faudra s’y faire. Il faut penser “global” : laisser à chaque pays la production dans laquelle il est le meilleur. Même si un pays est capable de faire un produit ou un service, il doit le laisser à un autre qui en serait encore plus capable ! Voilà pourquoi il faut arrêter le protectionnisme et laisser libre cours au libre-échange : nos pays en profitent aussi.

Fourçans reconnait que tout n’est pas parfait, mais dans la balance, il y a plus de bon que de mal : l’amélioration de notre niveau de vie en est le résultat.

Mais je m’interroge : “notre”, ça englobe tout le monde ?

1970 est derrière nous

Oui, tout le monde, et Fourçans nous rassure là où De Rivero nous alarme : la pauvreté a globalement diminué, et “les inégalités entre pays auraient atteint leur maximum dans les années 1970.” (p. 117).  Depuis lors, c’est le rattrapage, grâce à la croissance économique, obtenue en s’ouvrant à l’international. “Ce n’est pas pure coïncidence si les pays de l’Est asiatique ont fait preuve d’un dynamisme sans comparaison aucune avec la lenteur des contrées protégées d’Amérique latine, de l’Asie du Sud ou de l’Afrique subsaharienne.” (p. 122)

Allez, je laisse dire et passons à la suite…

L’argent vadrouille et fait le bien

Et la finance, et les oligarchies chères à Jean Ziegler, dans tout ça ?

Eh bien notre professeur en économie est plutôt conciliant (Non ? Si !) : “L’argent international en vadrouille aux quatre coins de la planète a une fonction éminemment importante : aider à financer le développement…” (p. 132). Mais il reconnaît que ça fait mal quand ces investissements claquent brutalement la porte !

Et la “World Company” risque-t-elle de dominer le monde ? Non, gigantisme ne signifie pas domination. “Leur marché est le monde et leur secteur très concurrentiel.” (p. 41)

Biensûr il y toujours des vilains petits canards aux pratiques peu scrupuleuses, mais c’est comme dans tous les domaines, et il ne faudrait pas en faire une généralité.

Ouf, on respire, et profitons-en car…

Visitez le 7ème continent

… Car nous respirons bien mieux aujourd’hui, dans nos villes, qu’il y a un siècle, alors que nous produisons plus et que nous sommes bien plus nombreux. Et malgré la poursuite de cette croissance, le monde survivra “grâce aux adaptations et aux mesures à la fois technologiques, sociétales, et réglementaires.” (p. 141).

Mais que veut dire Fourçans par “nos villes” ? Le tiers-monde regorge de villes polluées et insalubres, non ?

Et cette “croissance” ne produit-elle pas une immensité de déchets, qui d’ailleurs se mondialise très bien ? J’invite l’auteur à visiter le 7e continent de plastique, œuvre la plus remarquable de notre société mondialisée. J’espère que le “progrès” sera capable de nettoyer nos océans…

Faut-il avoir peur de la mondialisation ?

Avec ce livre, André Fourçans nous rappelle le contexte des choses, nous fait prendre de la hauteur, pour contrecarrer nos “ressentis”, si bien forgés par notre monde de communications qui met en exergue ce qui ne va pas.  Même s’il modère ses propos, il ne voit que des signes annonçant une amélioration, dans tous les domaines ! Encore faut-il partager son sens de l’amélioration : pas sûr que tout le monde s’exclamera “Liberté, liberté, chérie” (p. 163) face à la demande de plus de flexibilité dans les emplois !

Cette lecture m’a conforté dans cette idée : la mondialisation fait peur au commun des mortels, qui n’est pas capable d’appréhender une mécanique économique fonctionnant maintenant au niveau mondial. Et de là à dire que c’est un bac à sables géant dans lequel seuls les économistes s’amusent, il n’y a qu’un pas !

Jean-Michel Turpin : rendez-vous en terre inconnue
© Jean-Michel Turpin

Soit. Mon petit cerveau sans envergure s’inquiète (principalement) sur deux points :

  1. Toute cette mécanique repose trop sur l’énergie (à bas prix) à mon goût. Or, sommes-nous vraiment à l’abri d’une crise énergétique, du pétrole en particulier ? Voilà un thème que Fourçans n’aborde pas vraiment, si ce n’est avec cette phrase, que je prends comme l’arbre cachant la forêt : “La consommation d’or noir des pays riches a diminué de 50 % si on la mesure par rapport à la production de chaque unité de richesses.” (p. 145).
  2. La mondialisation accroit les richesses de manière démesurée, et accouche d’une finance capable de mettre des pays en faillite : ça fait vraiment partie du jeu ?

Tout ça me donne l’impression que la mondialisation devrait fonctionner de pair avec une gouvernance mondiale : Fourçant aborde le sujet mais ne semble pas très inquiet. Et pourtant, cette préoccupation revient de plus en plus dans l’actualité ! Mais ça, ce sera pour un autre article…

“La mondialisation racontée à ma fille”, André Fourçans, 216 pages, Seuil

Les systèmes de protection sociale des pays riches ont été constrtuits pour le monde d'hier et non pour celui d'aujourd'hui, encore moins pour celui de demain (p. 170)

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Brainstorming site G1000

G1000 : en route vers une autre démocratie

Quand j’étais gosse je ne comprenais pas à quoi servait la politique. Quand j’étais ado je ne comprenais pas pourquoi un homme politique devait appartenir à un parti. Aujourd’hui, j’ai finalement compris, évidemment, mais je me pose une autre question : notre système démocratique ne pourrait-il pas passer à la vitesse supérieure ?

Comme le montre Lazarus

A l’heure du numérique et de l’information, n’est-ce pas devenu archaïque de passer par des “élus”, qui ne pourront jamais suivre leurs convictions une fois en place ? Bien sûr notre système démocratique, c’est une belle avancée. Mais comme l’explique Lazarus, un parlement n’est pas représentatif de la population, et subit des pressions de la part de ceux qui en ont le plus de moyens.


Lazarus nous explique la démocratie

Et si nous regardons du côté des Etats-Unis, exemple de ce qui pourrait nous arriver bien malgré nous, on constate que le peuple est représenté pour moitié par des millionnaires ! Comment les intérêts d’une population peuvent-ils dans ces conditions être défendus ?

Je vote pour les citoyens !

Mais peut-on se passer de “professionnels” de la politique, pour laisser aux gens le soin de décider pour leur pays ? Oui, s’ils sont informés, encadrés, et s’ils dialoguent. C’est ce que démontre le G1000 qui, le 11 novembre 2011, rassemblait 704 citoyens autour de 32 tables de discussion, pour débattre des mesures les plus importantes à leurs yeux. En est-il sorti des mesures genre “On ne paie plus d’impôts” ou “La retraite à 45 ans” ? Non, leurs décisions n’avaient rien d’utopique : la preuve fut faite qu’un groupe de citoyens pouvait donner des recommandations qui servent l’intérêt général.

Je m’engage

En 2011 j’appris l’existence du G1000 par les médias : voyant tous ces gens débattre autour de ces dizaines de tables, à Tour & Taxi, j’aurais bien voulu en être ! Un an plus tard, une annonce dans Facebook apparaît : “cherche graphiste d’urgence”. Et hop, ni une ni deux, dans la minute je me portais volontaire, et dans la semaine j’étais en contact avec les cerveaux du G1000, pour concevoir un dépliant pour lancer la suite du projet.

Un millier de volontaires, et moi, et moi

L’air de rien, le G1000 a demandé presque un millier de volontaires en 2011, et ça les a bien usé ! Alors en 2012 on renouvelle les troupes. Et quand, lors de la première réunion de la cellule communication, je propose mes compétences pour le site web, me voilà définitivement intégré à l’aventure 2012.

Brainstorming site G1000
“Tempête de cerveaux” sur le site du G1000. Avec Lieve Van den Broeck et David Van Reybrouck.

Le travail est immense : il faut refaire tout le site, en 4 langues, le rendre plus complet mais… plus simple ! Et quand je me rends compte que je ne pourrai pas récupérer le code, et que je devrais donc réécrire tout le site, mon estomac se noue : dans quoi me suis-je engagé ? Mais en même temps, si “je veux sauver le monde” , voilà une belle occasion de mettre mes compétences au service d’une cause qui veut faire bouger les choses.

Le jour G !

Ce vendredi 14 septembre était le coup d’envoi du G1000, phase 3. Il fut précédé d’une semaine intense, où le site s’est développé en “flux tendu”. Jeudi minuit, le site était prêt, et vendredi à 9h, il était publié, talonné par l’envoi des dossiers de presse. Ouf ! Ce fut un peu de stress, mais quelle formidable expérience de travailler avec une équipe aussi motivée et compétente ! Et je ne suis pas au bout de mes bonnes surprises : j’ai pu assister à la réunion des 32 citoyens, au Parlement Flamand. Ce fut surprenant et instructif. Mais ça, ce sera pour un prochain article… www.g1000.org

Faut-il mettre fin à la démocratie représentative (élus) et chercher autre chose ?

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