Or donc, il y a quelques semaines je participais à la manifestation des indignés, et j’expliquais brièvement l’origine de l’appellation. En voici la chronique complète, accompagné de son antithèse…
Un phénomène de l’édition
“Indignez-vous !” est un manifeste de 14 pages que l’on doit à Stéphane Hessel, ancien résistant de 93 ans, à qui on a demandé de développer un discours prononcé lors d’une commémoration. Complété de quelques notes d’information et d’une bio, voilà un petit fascicule de 32 pages qui, à la bonne surprise des éditeurs, s’est écoulé à… 4 millions d’exemplaires en 32 langues !
Indignez-vous ! nous dit l’ancien résistant
Mais que raconte monsieur Hessel ? En voici les 6 chapitres :
- Le motif de la résistance, c’est l’indignation : il appelle la jeunesse à faire ce qu’il faisait durant la deuxième guerre mondiale, non plus résister à l’envahisseur, mais à la “dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie”.
- Deux visions de l’histoire : il parle de sa vision de la résistance et encourage à “s’engager au nom de sa responsabilité de personne humaine”.
- L’indifférence : la pire des attitudes : il dénonce l’écart qui s’accroit entre les pauvres et les riches, les droits de l’homme, l’état de la planète, nous parle de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, et encourage les jeunes à regarder autour de soi pour trouver tous les motifs d’indignation.
- Mon indignation à propos de la Palestine : il raconte sa visite de la bande de Gaza, s’indigne de l’oppression imposée par Israël, explique que si le terrorisme est inacceptable, il comprend la réaction violente de la population.
- La non-violence, le chemin que nous devons apprendre à suivre : il encourage la non-violence, la conciliation, l’espoir, pour arriver à un monde meilleur.
- Pour une insurrection pacifique : il constate que, certes des progrès ont été faits depuis la deuxième guerre, mais il en appelle toujours à “une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation de masse, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous.”.
La légitimité de Stéphane
Les paroles portent car dites par un homme ayant fait la résistance, puis ayant participé aux Déclarations des Droits de l’Homme en 1948 : dans son ouvrage, il ne manque pas d’y faire allusion, et cela le positionne comme un homme à respecter, comme un sage, un humaniste qu’il faut écouter.
Il rappelle que la majorité des droits sociaux se sont mis en place après la guerre, par des gens comme lui : et aujourd’hui, ce pourquoi il s’est battu est en train d’être détricoté par le libéralisme à outrance.
Et il a des origines juives, ce qui lui donnerait le droit de porter un jugement critique sur l’État d’Israël. Voilà un point qui suscite débat…
Le vieil homme m’indigne
Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Gilles-William Goldnadel, avocat, président d’Avocats sans frontières…
Il démystifie notre ami Hessel : il n’a pas participé à la rédaction de la Déclaration des Droits de l’Homme, il n’y était que comme témoin. Or, c’est un des faits qui a donné toute la valeur morale à Hessel. S’il a trafiqué l’histoire sur ce point, qu’en est-il du reste ?…
Eh bien les origines juives d’Hessel semblent très éloignées. Or, de nouveau, celles-ci lui donnent une légitimité pour critiquer Israël.
Et ça, ça ne plait vraiment pas à Goldnadel… qui est juif, et ardent défenseur d’Israël. Le ton s’en ressent, et ces quelque 60 pages auraient pu être réduites à un tiers si le langage utilisé tournait moins la tête : “La chose est habituelle, pour ne pas écrire naturelle. Mais ici la construction relève d’une mythologie à laquelle ont participé par l’action – ou l’inaction – les encenseurs, les idiots utiles ou inutiles, les compagnons de route idéologiques et une bonne partie de ceux qui se flattent du devoir d’informer sans faux-semblants une opinion qui a, paraît-il, le droit de l’être” (exemple pris au hasard, page 22 !).
Notre avocat va chercher les plus infimes contradictions, et trouve injustifié le succès d’un ouvrage fondé sur si peu de d’éléments. « C’est la première fois dans l’histoire qu’un document écrit contient aussi peu d’idées et rencontre autant de succès ». Voilà donc « le ratio le plus irrationnel de l’histoire ».
Aucun indigné ne me convainc
Je dois reconnaître que j’ai enchaîné ses deux ouvrages par curiosité intellectuelle !
Le premier je l’ai lu parce qu’il est une référence dans la contestation actuelle. Sans surprise, il ne m’a rien appris. Mais il va parfaitement dans le sens du poil pour n’importe qui se plaignant que le monde va mal.
Le deuxième, j’avais une chance sur deux de le lire. Je m’explique : dans les réponses à Stéphane Hessel existe aussi “J’y crois pas”, et j’ai acheté le premier que j’ai trouvé en librairie. Mais je dois dire que si je m’étais renseigné, au préalable, sur le parcours de l’auteur de “Ce vieil homme m’indigne” (“Comment, Goldnadel, vous êtes juif ?” ) j’aurais évité cette lecture. Non pas que je mette en doute ses dires ni ne respecte son point de vue, mais son irritation lui enlève tout objectivité et révèle une prose fatigante.
Et quand Goldnadel reproche à Hessel de ne s’indigner que des Gazaouis, et pas des Tamouls massacrés au Sri Lanka, ni du génocide Arménien, ni du sort des Kurdes, ni du conflit Somalien, n’est-ce pas simplement parce que l’auteur n’a pas été dans ces pays ? Et qu’il ne veut parler que de ce qu’il a vu de ses propres yeux ?
Écrit avec les tripes
Hessel a parlé avec ses tripes, pensant certainement que son livre resterait marginal. Mais le succès est arrivé, et avec lui un feu de critiques, en proportion…
Qu’importe ! Le discours est clair et en phase avec les gens qui ne sont plus d’accord avec le système : il est parfait pour le brandir au-dessus de sa tête et descendre dans la rue…
“Indignez-vous” par Stéphane Hessel, 32 pages, Indigène éditions.
“Le vieil homme m’indigne !” par Gilles-William Goldnadel, 60 pages, éditions Jean-Claude Gawsewitch.
Très intèrressant comme toujours Paul. ton site est vraiment super et tes articles donnent à réflèchir.
Merci Bernard.
Je ne cache pas que faire un blog demande beaucoup de ressources tant il en existe de bien faits et bien écrits. Et parfois je me dis “qu’est-ce que je peux apporter en plus ?”…
Je n’ai pas lu aucun des deux, cependant je suis en effet admiratif devant le succès en librairie de l’ouvrage (surtout pour moi qui commence une petite maison d’édition indépendante). Par contre, et encore une fois sans l’avoir lu, je trouve que le livre de Gilles-William Goldnadel est un manifeste contradictoire du premier, hors, à quoi bon, personne ne pourra dire qu’il est à 100% “propre”. Bref, ton article me donne envie de lire “Indignez-vous” mais surtout pas le livre de Gilles-William Goldnadel.
Je ne sais plus qui avait qualifié “Indignez-vous” du plus grand phénomène du livre que tout le monde achète mais que personne ne lit… Je plaide coupable, je l’ai acheté et offert à mon filleul, mais pas lu. Mais néanmoins, je crois qu’il fallait l’écrire, et les millions de ventes confirment que le message passe malgré tout. Le petit Goldnadel, par contre, il devrait se rendre compte que, en tant que représentant de cette horripilante victimite hystérique des juifs, il va finir par me faire devenir antisémite… Bon, allez, là j’exagère un peu, mais quand même…
“en tant que représentant de cette horripilante victimite hystérique des juifs, il va finir par me faire devenir antisémite” : La question palestinienne m’intrigue, tans les opinions divergent. Et j’espère trouver LE livre qui m’expliquera tout cela avec objectivité. L’appel est lancé !… et le débat reporté ;-)