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Misère de la pensée économique

Non, décidément, la science économique n’est pas une science exacte. C’est même une imposture ! Et un homme est bien placé pour nous l’expliquer…

Inside job

Greenspan s'excuse : il n'a pas lu "Misère de la pensée économique"
Greenspan s’excuse : il n’a pas lu “Misère de la pensée économique”

Quand on connait le parcours de Paul Jorion, on se dit qu’il serait difficile de trouver un auteur mieux placé pour nous parler de la société libérale et de ce qui ne tourne pas rond. Jugez plutôt : au départ anthropologue, chercheur en sciences sociales, mais aussi mathématicien, il a enseigné dans les universités de Bruxelles (il est bruxellois), de Paris… de Cambridge et de Californie. Il fut fonctionnaire aux Nations Unies, et j’arrête là le parcours pour directement sauter à sa carrière financière : à partir de 1998, après avoir été trader, il devient expert en formation des prix, et se fait engager dans quelques grosses banques américaines, celles-là même occupées à faire gonfler la bulle des subprimes !

Autant dire que la crise, il la voyait arriver, et il n’a pas manqué de l’annoncer au travers de quelques livres (sa hiérarchie faisant la sourde oreille), dont le plus remarquable fut « Vers la crise du capitalisme américain », qui a mis quatre ans pour trouver un éditeur, et qui sortit… quelques semaines avant la crise de 2008 !

Voici quelques échantillons tirés des “Misères…” de Jorion, et j’ai dû me freiner pour ne pas y ajouter mon propre sarcasme…

Il y a de l’eau dans le gaz

L’économie politique aurait dû guider notre monde, mais voilà, ça ne va pas vraiment dans le sens du libéralisme pur jus. Alors, quand les physiciens sont venus à l’économie avec leurs formules sous le bras, le facteur humain est passé à la trappe, et elle est devenue une science qui serait “exacte”. Au point d’en recevoir des prix Nobel qui n’en sont pas réellement : Alfred doit se retourner sans sa tombe !

Par exemple, il existe le modèle Black & Scholes, inspiré d’une théorie sur la diffusion des gaz. Ce modèle financier est une référence : enseigné dans toutes les universités, utilisé dans les banques comme dans les salles de marché. Et pourtant, il ne correspond pas à la réalité, il est faux. Mais il fonctionne quand-même… tant que la finance se porte bien… et que tout le monde l’utilise !

Voilà donc un bel aveuglement de la finance : le monde économique s’accommode de modèles approximatifs car, comme tout le monde les utilise, on ne prend pas moins de risque que son voisin. Mais quand la machine s’emballe, tout s’écroule comme un château de cartes. Et aucun économiste ne voit rien venir !

Pour autant, il ne faut surtout pas réglementer, au contraire…

Un monde sans l’article 421

La finance actuelle est une magnifique machine à concentrer la richesse. Et l’informatique dans les places boursières n’y est pas pour rien : il permet de générer des bénéfices sur la spéculation, et ces gains sont ponctionnés sur la véritable économie, celle qui nous fait vivre. Au final c’est le travailleur qui perd, avec une baisse du pouvoir d’achat, donc une diminution de la consommation, donc des industries qui diminuent sous peine de surproduction : c’est l’économie qui se grippe !

Or, sachez qu’au XIXème siècle existait l’article 421 du Code pénal français, interdisant de parier sur les prix à la baisse ou à la hausse. Mais sous la pression du milieu des affaires, “le législateur a fini par plier, les conséquences en sont devenues visibles tout au long du XXe siècle, et nous sommes aujourd’hui les victimes des ultimes aboutissements de cette autorisation donnée à la spéculation.” (p. 90)

Pour autant (bis), il ne faut surtout pas réglementer, au contraire…

La main invisible fait faux bond

C’est la théorie de la “main invisible” qu’avancent nos économistes pour justifier la totale liberté des marchés, sans intervention de l’État, “évoquant l’idée que des actions guidées uniquement par l’intérêt personnel de chacun peuvent contribuer à la richesse et au bien-être de tous” (Wikipedia). Appliqué à l’économie précisément, il existerait donc “une main invisible guidant l’économie vers le plus grand bien-être de la communauté dans son ensemble, et ce en dépit des comportements égoïstes des hommes et des femmes dont les agissements combinés constituent l’activité économique” (p. 161).

L’idée est d’Adam Smith, exposé dans son livre “La richesse des nations”, en 1776. Enfin, disons qu’il en a parlé trois fois dans une œuvre dont ce n’est pas le thème principal, que ce concept est sujet à interprétation, et que notre philosophe Écossais est devenu bien malgré lui le père d’un fondement économique… qui fait faux bond ! Car en 2008, les comportements égoïstes ne se sont pas neutralisés, mais se sont cumulés, entraînant la chute du système. Dans la crise des subprimes, la cupidité des dirigeants de banques comme Goldman Sachs les a entraîné à parier sur l’effondrement du système, un comportement hautement condamnable, contre lequel la main invisible ne sait rien faire…

Et c’est ainsi qu’on a vu Alan Greenspan, grand timonier de la dé-régularisation, répondre d’un air penaud devant la Commission du Congrès Américain en 2010 : ” J’ai dû constater une erreur dans le modèle qui me semblait être le schéma fonctionnel essentiel définissant la manière dont opère le monde.

Arrêter la concentration

Le titre du livre de Paul Jorion aurait pu faire croire à un pamphlet, mais sa connaissance du milieu, son bagage multidisciplinaire et son esprit cartésien nous obligent à le prendre au sérieux, et à déconsidérer la science économique. Son livre est dense, mélange aussi bien les mésaventures de l’économie que les expériences personnelles, et explique les grandes théories (pas toujours faciles à comprendre) : la formation des prix, la valeur, la propriété privée, la dette, la rente, etc. Sans oublier une pincée de philosophie, bien nécessaire pour prendre un peu de hauteur et songer à notre avenir.

L’auteur termine en proposant des réformes qui devraient arrêter la concentration des richesses – car finalement, voilà bien le principal mal de toute cette machine économique. Je vous en livre quelques-unes :

  • Valoriser les salaires plutôt que de favoriser l’accès au crédit.
  • Interdire la spéculation.
  • Interdire la communication avec les paradis fiscaux.
  • Établir les cours en bourse par fixing journalier (le cours ne peut varier qu’une fois par jour).
  • Définir l’actionnaire d’une société comme créancier et non comme propriétaire.

Voilà qui me paraît plein de bons sens…

“Misère de la pensée économique” par Paul Jorion, 213 pages, Fayard

Cette science économique, c'est une misère, mais on peut aussi en rire !
Cette science économique, c’est une misère, mais on peut aussi en rire !

(en économie) "le capitalisme est présenté comme le couronnement de la culture produite par la créature parfaite qu’est l’homme, grâce à la plus admirable de ses qualités : la raison." (p. 121)

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Freakonomics

Économie saugrenue

Voici un ouvrage écrit par le journaliste Stephen Dubner en collaboration avec un économiste original : Steven Levitt. Celui-ci applique les théories de sa discipline à des domaines non économiques, pour analyser des faits de société. Le journaliste, trouvant ces démarches dignes d’intérêt, lui a proposé d’en faire un livre : c’est “Freakonomics” , vendus à 4 millions d’exemplaires…

Mais en quoi ça consiste au juste ?

De sujets légers au plus grave

En n’étudiant que les chiffres (des statistiques), notre économiste inventif donne des réponses à des questions diverses comme : le Ku Klux Klan a-t-il fait autant d’actes violents qu’on lui attribue ? (non) ; les enseignants trichent-ils avec les résultats d’examen ? (oui – aux Etats-Unis, les écoles les plus efficaces sont récompensées et celles à la traîne sont sanctionnées) ; les dealers gagnent-ils vraiment beaucoup d’argent ? (non) ; les sumos trichent-ils ? (oui !)…

Freakonomics c'est maintenant un film

Des sujets légers et ludiques, sauf pour cette question-ci, qui a mis notre économiste sur le devant de la scène : mais où sont passés les criminels ?

L’Amérique n’a pas plongé dans un bain de sang comme prévu

Jusqu’à la fin des années 80, aux Etats-Unis, la criminalité n’a cessé d’augmenter, à tel point que beaucoup voyaient dans l’avenir du pays une situation proche de Mad Max ou New York 1999 ! Et puis, au début des années 1990, “la décrue s’est amorcée de façon si rapide et massive que tout le monde a été pris de court.” (p. 176). Non seulement les experts n’avaient pas vu venir ce virage à 180°, mais en plus se sont lancés dans de nouvelles explications : nouvelles méthodes policières, durcissement des peines de prison, bonne santé économique, etc. Pour Levitt, aucun de ces motifs ne pouvaient expliquer une baisse aussi spectaculaire de la criminalité, même en les combinant toutes (l’auteur consacre plusieurs dizaines de pages à les démonter).

L’explication est à chercher ailleurs, et ça ne va pas faire plaisir à tout le monde…

Un troc qui peut choquer

Cette baisse de la criminalité s’est étendue progressivement : d’abord dans un État, puis un autre, puis plusieurs, puis dans l’ensemble du territoire. En remontant dans le temps, Levitt constate que ce développement géographique coïncide avec… la légalisation de l’avortement ! Chaque État l’ayant appliqué, a rencontré cet effet inattendu une génération plus tard, au moment où les “enfants non nés” auraient atteint l’adolescence. La légalisation ayant rendu cette opération accessible aux femmes les moins favorisées, ce sont elles qui en ont le plus profité. A l’époque, une étude indiquait que ces enfants non nés auraient eu 50 % de plus que la moyenne de connaître la pauvreté, et 60 % de plus que la moyenne de grandir dans une famille monoparentale : ces deux facteurs “comptent parmi les plus forts indicateurs d’une délinquance future” (p. 206). L’auteur résume : “La légalisation de l’avortement a permis qu’il y ai moins d’enfants non désirés (ne pas être désiré peut conduire au crime), par conséquent, la légalisation de l’avortement a entraîné une diminution de la criminalité.” (p. 207).

Voilà qui apporte de l’eau au moulin des “pro avortement”. Mais ce serait malhonnête de ma part d’arrêter cet article sur ce fait troublant, sans mentionner un autre chiffre : environ 1.500.000 avortements sont faits chaque année aux Etats-Unis. Les “anti IVG” pourront donc dire que c’est autant de meurtres en échange de cette diminution de victimes de la criminalité : un troc inacceptable.

Hitler contre Mozart

Voilà que ce drôle de livre m’a entraîné dans les sables mouvants d’un débat de société qui déchaîne les passions. Et je ne vais pas m’en extraire sans y laisser ma trace…

Car s’inquiéter pour l’avenir de la planète conduit à une conscience écologique qui n’est pas compatible avec l’idée d’avoir une croissance démographique continue. Ce qui m’oppose à l’idée de donner la vie dans n’importe quelle condition. Si les antis IVG aiment à dire que ce sont des “Mozart qui ne verront jamais le jour”, je rejoins ceux qui disent “Ce sont des Hitler qui ne verront jamais le jour”.

Malgré tout, dans cette bataille d’opinion, d’éthique est de religion, c’est la réflexion d’un ami (il se reconnaîtra) qui m’inspire cette conclusion : pour ou contre l’avortement, il n’y a que la femme qui peut en décider. Et il est important qu’elle puisse la prendre sans être influencée (ni menacée !), “en son âme et conscience” : que ce soit dans un sens… comme dans l’autre…

ExtraPaul lit Freakonomics
Freakonomics porte un regard décalé sur notre société...

“Freakonomics” par Steven D. Levitt et Stephen J. Dubner, Folio, 336 pages.

Ne pas donner vie à un enfant non désiré, un mieux pour la société ?

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Livre "Le Cygne Noir" de Taleb

Le Cygne Noir : nous vivons en Extrêmistan

Livre "Le Cygne Noir" de Taleb
Un livre plein d’enseignements

Un Cygne Noir est un événement inattendu et surprenant qui détruit vos convictions, met à terre vos plans, change vos théories…

Et Nassim Nicholas Taleb en développe le sujet sur presque 500 pages écrites en tout petit : un ouvrage dense entre science et philosophie, qui a séduit plus de 2 millions et demi de lecteurs dans le monde.

C’est que ce genre de lecture peut changer votre façon de voir les choses. Et en ce qui me concerne il y a un “avant” et un “après cygne noir” – même si ça n’a pas changé radicalement ma vie… Car mr Taleb, qui enseigne les sciences de l’incertitude, analyse en profondeur notre manière de penser, notre volonté de vouloir prédire l’avenir (le propre de l’homme), nos sciences se fondant sur l’expérience, notre perception fondée sur notre vécu, et le fait que nous continuons à diriger nos vies en minimisant l’importance des événements inattendus.

L’idée centrale de ce livre concerne notre cécité face au hasard, et spécialement aux événements qui se démarquent particulièrement de nos attentes” (p.11).

L’auteur en a surtout après les sciences qui développent des théories sur base des cas normaux, minimisant les incertitudes, pour faire entrer les probabilités dans une belle courbe en cloche (courbe de Gauss) : ils les appellent les GEI (Grande Escroquerie Intellectuelle, p.19). En première ligne, les économistes !

Or il y a deux groupes d’événements dictant les modèles mathématiques, pour lesquels l’auteur imagine deux pays : le Médiocristan et l’Extrêmistan.

En Médiocristan c’est le règne de la normalité, de la courbe de Gauss : les événements extrêmes n’ont pas de conséquences sur la masse. Prenons 100 personnes et calculons-en la taille moyenne : le chiffre que nous obtenons déviera peu si nous réitérons l’expérience sur d’autres groupes de 100 personnes, même si parfois nous aurons quelques nains ou géants dans notre échantillon… Nous ne risquons pas d’avoir des moyennes de 3 mètres ou 3 centimètres, et nous pourrons en tirer des conclusions valables.

En Extrêmistan, la courbe de Gauss ne marche plus, car une seule donnée, extrême, peut réduire les autres à l’état d’insignifiance, et faire tomber les théories que nous élaborions avant de rencontrer cette anomalie. Poursuivons donc notre expérience avec nos échantillons de gens pris au hasard et établissons le salaire moyen : déjà là, les écarts vont bien varier d’un groupe à l’autre. Mais ok, à force de répéter l’expérience nous trouverons une moyenne… Jusqu’à ce que nous arrivions à un groupe où, pas de chance, se trouve Bill Gates ! Et voilà la moyenne des salaires qui monte en flèche, dans des proportions tellement énormes que les autres ne servent qu’à nous donner des erreurs d’arrondi ! Nous sommes tombés sur un cygne noir : jusqu’à ce qu’il arrive, nous étions persuadés qu’un salaire moyen était X, et que Y en était à peu près le maximum.

Voilà, bienvenue en Extrêmistan, un pays plus vaste que vous ne croyez : celui où un attentat peut mettre en crise la planète, où une simple idée peut vous rendre milliardaire, où la dinde est persuadée d’être nourrie par un bienfaiteur, où un tremblement de terre met en péril l’avenir du nucléaire. Et surtout où les phénomènes sociaux sont imprévisibles : un marchand s’immole par le feu et c’est l’Afrique du nord qui s’enflamme ! Autant d’événements qu’aucun économiste ne peut prédire, et pourtant ce sont ces événements qui font notre histoire. Autant dire que les spécialistes de tout poil, en particulier ceux qui donnent des conseils pour l’avenir, sont sévèrement jugés par Nassim Taleb.

Le hasard est ce que je ne peux pas deviner parce que ma connaissance des causes est incomplète, pas nécessairement parce que les propriétés du processus sont vraiment imprédictibles.” (p.391). Ici, le hasard n’est pas d’un dé qui roule pour ne sortir que des chiffres entre 1 et 6 !

Dans cet article je n’expose qu’une des nombreuses idées de mr Taleb, qui nous dit de ne pas écouter les spécialistes tirant des plans sur notre futur. A titre personnel j’en tire une leçon : mon blog portant justement sur les domaines les moins prédictibles de nos connaissances, le Cygne Noir me guette. Si je peux me faire une opinion, je ne dois pas m’enfermer dans des convictions, et garder la porte ouverte à un facteur chance, accepter que mes connaissances ne me permettent pas d’imaginer l’improbable…

Si votre esprit est encore embrumé par tout ce que je viens de raconter, je ne manquerai pas de faire référence aux préceptes de Mr Taleb dans mes futurs articles. Et qui sait, peut-être que l’un d’eux expliquera l’histoire de la dinde…

“Le cygne noir”, éditions Les Belles Lettres, 479 pages.

Invasion of the saucer-men edited
Quand nous serons 10 milliards, les extra-terrestres viendront nous “récolter”. Et aucun économiste ne l’aura prévu !

Pour Nassim Thaleb, un économiste est plus proche d'un charlatan que d'un scientifique

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