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Penser l’économie autrement

Deux économistes, l’un plutôt de gauche, l’autre plutôt libéral, s’entretiennent sur l’avenir de l’économie. Cela nous donne un livre où le fossé n’est pas si grand entre ces deux grands esprits.

L’un l’a vu venir, pas l’autre

Ce livre est le résultat de longues heures d’entretien entre Paul Jorion, économiste anthropologue ayant vécu, voire annoncé, la crise des subprimes, et Bruno Colmant, financier ayant présidé la bourse belge.

Jorion et Colmant ne jouent pas l'un contre l'autre (c) Le Soir
Jorion et Colmant ne jouent pas l’un contre l’autre © Le Soir

Voilà donc encore un choc des idées, un échange d’arguments, pour mettre à mal certaines idées, ou bien les renforcer. Pour autant, ne croyez pas qu’il existe un gouffre entre les opinions de ces deux hommes. Si Jorion n’a pas changé son point de vue très critique sur l’économie, Colmant, lui, a amorcé une remise en question. “La crise de 2008 a été un choc salutaire, existentiel. Elle a révélé chez moi un déficit de valeurs de solidarité et de partage. Je pense maintenant qu’il y a plus de bonheur dans la solidarité que dans la rigueur. Et que la question sociale doit être résolue avant la question monétaire.” (p. 229)

La discussion est animée par Marc Lambrechts, chroniqueur économique et financier au journal l’Echo. Il introduit les sujets et pose les questions, donnant une certaine structure au livre. Voici les thèmes :

  • Quel modèle économique choisir ?
  • Le piège de la dette publique
  • Quelle banque centrale pour l’Europe ?
  • Spéculation et Bourse, des dérives à combattre
  • Travail et emplois : quelles solutions ?
  • La finance de demain
  • Quel rôle pour les économistes ?
  • Quand Friedman rencontre Keynes

Il est difficile de résumer l’ouvrage, tant il est dense. Et je dois aussi avouer que j’ai été plus réceptif à certains sujets, comme celui sur le travail…

Une idée révolutionnaire

Existe-t-il une solution au chômage ? Un job pour tous est-il encore possible ?

Oui“, répond Colmant. Les gens doivent être mieux préparés aux mutations technologiques. Et, en prenant comme exemple l’économie des États-Unis, les hommes et les capitaux doivent être plus mobiles, il faut une prise de conscience sur la responsabilité liée à la liberté individuelle. “Les Européens attendent plus de la collectivité. Ils ont choisi un modèle social plus redistributif et solidaire. C’est un choix sage, mais qui est probablement associé à une moindre capacité d’initiative et entrepreneuriat individuel, lui-même corrélé à une moindre croissance.” (p. 124) Et la croissance est nécessaire : elle est corrélée avec la liberté individuelle. “[…] seul un régime autoritaire et égalitaire permettrait d’ordonnancer une économie sans croissance.” (p. 129)

Soyons réalistes“, répond Jorion. Les emplois qui disparaissent sont remplacés par des machines et des logiciels. Il n’y a pas de raison que cette tendance s’inverse, tant les avantages financiers existent.

Pourtant, cette tendance va dans le sens de cette vieille utopie où l’homme rêvait d’avoir tout son temps au loisir, tandis que les machines travaillent pour lui. Cette société serait possible si on suit la proposition de Sismondi (ceux qui connaissent Paul Jorion savent combien il aime défendre l’idée de ce philosophe économiste du XIXè) : un ouvrier remplacé par une machine percevrait une rente ponctionnée sur la richesse qu’apporte cette machine. Les gains de productivité seraient donc versés aux (anciens) travailleurs en plus des patrons et actionnaires.

C’est effectivement assez révolutionnaire” répond Colmant.

De bonne humeur le matin

Nous sommes ici au point central de notre message” ajoute Colmant. “Par la robotisation et les gains de productivité, le rendement du capital est supérieur aux taux de croissance de l’économie, ce qui signifie que la partie travail est inéluctablement en voie de précarisation. […] accumuler du capital est bien plus aisé grâce au capital que grâce au travail. […] Il y a un effet de capture de la richesse. S’il y a un élément de flottement social qui doit émerger, c’est de là qu’il proviendra.” (p. 145)

L’allocation universelle serait-elle un solution ? Oui, temporairement, répond Jorion : c’est un moyen adéquat pour entretenir la consommation, moteur de l’économie. “Mais c’est un pis-aller tant qu’une véritable prise de conscience de la nature du problème n’a pas eu lieu.” (p. 134) Cette prise de conscience porte sur la remise en état de notre planète et l’utilisation de nos ressources de manière durable. Nous devons entamer une transition qui va générer de très nombreux emplois, “le genre de travail qui met de bonne humeur lorsqu’on se lève le matin.” (p. 134)

Le travail a-t-il encore un avenir dans notre économie ?
Le travail a-t-il encore un avenir dans notre économie ?

Où sont les philosophes ?

J’ai été plus sensible aux arguments de Jorion, peut-être en raison de son langage très didactique. Ou parce que je suis plus réceptif à ses arguments, remettant en question le capitalisme.

Tandis que Colmant, défendant des pratiques impopulaires comme la spéculation, ou justifiant ce que nous prenons pour des dysfonctionnements (“Plus j’y réfléchis, plus je crois que les bulles [spéculatives] n’existent pas.“, p. 169), est obligé de donner des détails techniques, peu compréhensibles pour les non-initiés comme moi.

Néanmoins, ces deux têtes pensantes ont pas mal de points de convergences : cela a quelque chose de rassurant. D’autant qu’il s’agit de deux personnalités très médiatiques (Colmant intervient souvent dans les journaux télévisés, tandis qu’il n’est pas rare de voir Jorion dans des débats sur les chaînes françaises), qu’on espère écoutés et influents.

En tout cas, la solution viendra plus d’une bonne gouvernance plutôt que de la “main invisible” du libéralisme. Quelqu’un a dit un jour, nous explique Jorion, que l’humanité ne verra pas la fin de ses maux tant que ce ne seraient pas les philosophes qui aient accès à l’État, ou que celui-ci soit devenu philosophe. Hélas, “[…] ceux qui dirigent aujourd’hui les États ne sont pas devenus philosophes, mais banquiers.” (p. 249)

“Penser l’économie autrement”, Jorion, Colman et Lambrechts, 250 pages, Fayard

À propos de la spéculation, avec quelle réponse vous sentez-vous en accord ?

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Le petit livre noir des grands travaux inutiles

Les grands chantiers de construction ont-ils encore leur place dans nos riches contrées ? Non, nous dit ce petit livre.

Sacrée croissance

L’an passé a vu se concrétiser deux projets journalistiques que j’ai soutenus par le crowdfunding. Il y a eu le reportage “Sacrée croissance”, passé en télévision il y a quelques mois. Ensuite ce “petit livre noir des grands travaux inutiles” , objet d’un financement dans Ulule.

Ce n’est qu’après coup que je me suis rendu compte que, quelque part, les deux projets ont un point commun : ils dénoncent l’obsession qu’ont nos dirigeants pour la croissance.

Les grands projets inutiles illustrent parfaitement les limites d’un système économique et politique en guerre avec le vivant sous toutes ces formes. L’idée d’une croissance illimitée bute sur les limites de l’écosphère. Promoteurs zélés de l’ordre productiviste, responsables politiques et décideurs économiques n’arrivent à faire leur deuil d’une croissance destructrice.” (p. 26)

Camille est en rogne

On doit ce livre à “Camille”, prénom générique laissant ses auteurs dans l’anonymat, et évitant que certains d’entre eux profitent d’une médiatisation. L’auteur est donc une sorte d’anonymous, ce qui n’enlève rien à la crédibilité de l’ouvrage : on est dans le contestataire et le militant, et c’est bien cela qu’on attend.

Mais au fait, pourquoi tant défiance vis-à-vis de ces projets d’autoroutes, de centrales nucléaires, d’aéroports, de trains à grande vitesse et j’en passe ?

Parce qu’ils ne sont plus en phase avec les contraintes écologiques et sociales de notre époque. Ces projets ne sont que des fuites en avant, révélant un “manque d’imagination des décideurs politiques qui s’accrochent aux vieilles recettes des trente glorieuses devenues, vingt ans plus tard, les cinquante gaspilleuses.” (p. 10)

C’est autant d’argent qui pourrait être investi dans la transition énergétique et l’économie sociale.

Stop aux projets inutiles
Stop aux projets inutiles

10 millions d’euros le kilomètre

Le livre est français, et relate donc des projets de nos voisins. Dès lors il n’est pas étonnant qu’une bonne partie des chantiers d’autoroute soient épinglés : le pays ne devrait-il pas réduire son transport routier, après le Grenelle de l’environnement ?

Le livre dénonce une dizaine de projets destinés à faire couler des kilomètres de béton, bien souvent au détriment de zones naturelles protégées.

Par exemple, la construction de l’A65 entre Pau et Langon, traversant six zones Natura 2000, et arborant fièrement un label “grenello-compatible”. Soit 150 km reliant deux petites villes, qui coûtent 1 milliard et demi d’euros. Pendant ce temps les Chinois refont l’unique route reliant Nairobi (Kenya) à Dar-es-Salaam (Tanzanie), pour dix fois moins cher, et impactant 80 millions d’habitants. “Les besoins de routes sont là-bas, la pensée magique est ici.” (p 63)

31 millions d’euros le kilomètre

Allez, au hasard ou presque, voici encore trois projets contestables :

Joindre l’inutile à l’agréable

Le livre s’inscrit dans la contestation générale. Le citoyen n’a plus peur de dire ce qu’il en pense, voire d’aller sur le terrain pour créer des ZAD : zone à défendre (en fait, un détournement du terme administratif zone d’aménagement différé !) La mobilisation autour du futur aéroport de Notre-Dame-Des-Landes en est l’emblème.

Des dizaines de ZAD ont fleuri en France, rassemblant des paysans, des luddites (antitechnologie), des anarchistes et libertaires, des décroissants, des étudiants et des retraités, des urbains et des ruraux : “un véritable petit peuple de l’écologie et de la transition, qui expérimente, grandeur nature, la permaculture, fabrique éoliennes et fours solaires, invente de nouvelles formes de démocratie horizontale etc.” (p. 99)

Et ces mobilisations fonctionnent, comme en témoigne l’abandon du circuit de F1 dans les Yvelinnes.

Notre très militante Camille peut donc conclure de manière positive : “La mobilisation et la détermination peuvent avoir raison de l’entêtement de quelques-uns.

“Le petit livre noir des grands travaux inutiles”, 124 pages, Le passager clandestin

Face au monolithisme d'un système à bout de souffle, ces mille et une luttes nous disent une chose : nous voulons vivre et non plus survivre. Tout simplement. (p. 101)

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Sacrée croissance

La “croissance” : voilà bien un mot dans la bouche de tous les politiques et de tous les décideurs. C’est la solution pour sortir de la crise, il n’y a pas d’alternative !

Le monde selon Marie-Monique Robin

Ce discours, je le met dans le même panier que celui prétendant qu’il n’y a que le nucléaire pour donner de l’énergie à tout le monde, celui défendant le libéralisme pour auto-réguler la société humaine, celui disant qu’il n’y a que l’agriculture industrielle pour nourrir le monde…

Je n’ai pas la prétention de dire que tout ça est faux : mais je suis à l’écoute d’autres discours, d’autres alternatives, et heureusement qu’il existe des journalistes indépendants pour nous délivrer une information différente.

Parmi eux, il y a Marie-Monique Robin, dont j’avais apprécié son documentaire “Les moissons du futur”, mais que vous connaissez peut-être par un film plus connu : “Le monde selon Monsanto” .

Nous sommes les 1435

J’ai utilisé plus haut l’adjectif “indépendant”, et c’est particulièrement vrai pour notre journaliste : elle a créé sa maison de production pour financer ses films. “Je veux être désormais propriétaire des images et interviews que je réalise, et développer une relation différente avec le public” lit-on sur son site.

Une partie de sa production se finance en crowdfunding, donc par des citoyens comme vous et moi. Voilà une belle occasion donnée à ceux qui veulent faire bouger les choses, et en particulier à ceux qui, comme moi, en ont marre du dogme de la croissance. Car le film en cours de production est “Sacrée croissance” , et l’appel aux co-producteurs est en cours : à l’heure où j’écris ces lignes, ils sont 1435, parmi lesquels votre serviteur…

(c) Banksy
© Banksy

Pour 30 euros

La participation se fait sous la forme d’une précommande du DVD, à recevoir en même temps que la diffusion en télévision. Il vous en coûtera 30 euros. Et c’est une somme que je donne volontiers pour défendre une information indépendante, source à laquelle je m’abreuve tous les jours. C’est aussi un acte citoyen pour refuser la télé-poubelle que l’on nous sert !

Alors, si vous êtes contre le “système”, votre apport à un tel film portera plus que de râler sur Facebook ou refaire le monde autour d’un verre…

A bon entendeur…

30 euros pour financer un film qui veut faire bouger les choses

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