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Ces champs peuvent-ils nourrir tous les belges ?

Le Belge a une densité de plomb

En décembre 2012 la presse annonçait une grande nouvelle : ça y est, la Belgique a passé le cap des 11 millions d’habitants. Voilà qui me donne l’occasion de faire quelques mesures, histoire de bien situer l’encombrement des belges par rapport à la planète…

Un quart de terrain de foot

Nous sommes dans le top des pays les plus denses (362,65 hab./km2 [1]), ça, tout le monde le sait, on l’apprend même à l’école ! Sous réserve d’actualisation des chiffres, nous serions 16ème sur 192 [2].

En fait, chaque Belge occupe 2.757 m2 (0,27 ha), soit un quart de terrain de football [3]. Peut-on vivre sur une telle surface ? Ça dépend de quelle façon…

Imaginons que toute la surface du territoire soit disponible pour nous nourrir, et que nous n’ayons que ce besoin : nous nous en sortirions tout juste puisque actuellement une personne aurait besoin de 0,25 ha de champ pour manger [4].

Mais nous devons nous laver, dormir, avoir un minimum de confort. Pour avoir une idée de ce que ça représente, prenons exemple sur la famille Baronnet, qui vit en autarcie sur un terrain de 3.800 m2, dont 400 m2 de potager [5]. Ils sont deux, ça fait 1.900 m2 par personne : le belge dispose de plus de surface, et donc pourrait vivre comme un Baron…net !

Ces champs peuvent-ils nourrir tous les belges ?

Là où la Belgique se classe en tête

Mais le belge moyen ne se contente pas de “juste” vivre : il consomme beaucoup et produits beaucoup de déchets. Cela se mesure avec l’empreinte écologique, qui donne la surface d’hectare globale nécessaire pour un humain. Comme ce chiffre dépend du mode de vie, il est radicalement différent selon que l’on soit Qatarien (11,68) ou Afghan (0,5). Pour un belge, il est de 7,11 hag [6], ce qui nous place en 6ème position dans le classement des pays les plus “lourd” [7] !

Même si l’exercice n’est que virtuel, et que les surfaces calculées plus haut ne sont pas comparables, nous voyons maintenant que le belge a en fait besoin de 7 terrains de football pour son train de vie ! Et voici de quoi ils se composent [8] :

  • 1.82 hag de terres cultivées
  • 0.95 hag de pâturage
  • 0.47 hag de forêt (pour la fourniture en bois)
  • 0.17 hag pour la pêche
  • 3.26 hag de forêt pour séquestrer nos émissions de carbone
  • 0.45 hag pour nos infrastructures (habitations, transport, etc.)

9 millions de belges en trop

Ah qu’il est provocateur, ce titre ! Mais je ne résiste pas un petit calcul supplémentaire, juste pour voir…

Car à l’inverse de l’empreinte écologique, il existe la biocapacité, qui mesure la capacité que possède la nature à se régénérer et à compenser la consommation de l’homme. Chaque pays a son chiffre, et voici celui de la Belgique : 1,33 hag par personne. Ce qui nous donne un calcul dont le résultat est désastreux : 1,33/7,11 * 100 = 18,7 %. La Belgique assure moins d’un cinquième de la surface biologiquement productive nécessaire à ses habitants.

Autrement dit, notre territoire n’assure que pour 2 millions de belges, et les 9 millions excédentaires prennent crédit ailleurs… Alors remercions des pays comme la Bolivie qui compensent, avec 18,39 hag par personne !

Alors on dense ?

Bien-sûr certains chiffres que j’ai utilisés ne sont pas de toute dernière fraîcheur, voire changent d’une source à l’autre, mais on peut malgré tout conclure que si la Belgique est dense par sa population, elle l’est surtout par son impact environnementale et économique.

Bref, pour notre planète, la Belgique est faite de plomb et non de plumes !

Le Belge pèse lourd et ça se voit ! / (c) Nasa
Le Belge pèse lourd et ça se voit ! © Nasa

(Calculez votre empreinte écologique pour répondre au sondage ci-dessous…)

Quelle est votre empreinte écologique ? (lien donné ci-dessus)

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Viva el presidente

Un pays peut-il aller à contresens de la mondialisation et du libéralisme ? L’Équateur s’y essaie, avec un président charismatique à sa tête…

Le président vous salue

En ce lundi 29 octobre 2012 nous sommes sur la Place de l’Indépendance, Quito, Équateur. Il est presque 11h, et une foule s’est assemblée, sous l’étroite surveillance de policiers surarmés et prenant leur rôle très à cœur (càd qu’ils n’ont pas l’air commodes et qu’on n’ira pas leur demander du feu !).La raison de ce dispositif ? Il apparait bientôt sur le grandiose balcon qui nous surplombe : c’est le président de l’Équateur, venu assister au changement de la garde présidentielle. Entouré de toute une suite (est-ce miss Équateur là plus loin ?), il salue la foule et celle-ci le lui rend bien : vivas et banderoles l’accueillent avec une ferveur non simulée, on sent bien que le président a trouvé sa place dans le cœur de son peuple.

Le président de l'Equateur assiste au changement de la garde
Un président qui ne doit pas se sentir seul

Mais qu’a-t-il donc fait ?

“El ecuador ya no esta en venta” (l’Equateur n’est plus en vente), “Es hora de luchar por nuestro patria” (Il est temps de se battre pour notre patrie), lit-on sur les banderoles…

Économiste de gauche

Il s’appelle Rafael Correa, a 49 ans et est assez bel homme si l’on écoute l’avis de la gente féminine – mais ça n’influencera pas mes propos ! Il a fait des études d’économie à l’UCL (où il a rencontré son épouse belge), aux USA puis dans son pays : cela a fait de lui un économiste… “de gauche” ! Il a sans doute bien assimilé le dogme du néo-libéralisme, mais a conclu que ce n’était pas bon pour son peuple !

Résultat : quand, fin 2006, mr Correa devient président de l’Équateur, il prend une série de mesures, que l’on approuvera ou critiquera, mais qui ont le mérite de suivre ses convictions : des actes, pas des simples promesses électorales ! Voyez plutôt :

  • Il met en place un Comité d’Audit qui décidera de ne plus rembourser une partie de la dette, jugée illégitime. [1]
  • Le pays vit principalement du pétrole (membre de l’OPEP) : il renégocie les contrats avec les sociétés pétrolières, pour augmenter à 70 % les rentes à l’État. Il est même question de nationaliser le secteur pétrolier. [2].
  • Se voulant d’un “Socialisme du XXIème siècle”, il multiplie les mesures sociales : triplement des dépenses en matière d’éducation et de santé, doublement des allocations pour les mères célibataires, aides aux petits paysans, baisse du prix de l’électricité. [3]
  • Il régularise le système bancaire. [4]

Voilà pour les faits marquants. Mais l’Équateur et son président peuvent nous étonner avec d’autres mesures réactionnaires…

Les droits de la terre

Le peuple a approuvé en 2007 le nouveau projet de constitution. Ses articles vont dans le sens du social [5], vous l’aurez deviné, mais établissent aussi les “droits de la terre”. Ainsi on trouve l’article 71 : “La nature a le droit d’exister, de maintenir ses cycles vitaux, sa structure, ses fonctions et ses processus d’évolution. Toute personne, communauté, peuple, a la capacité de demander à tout organisme public la reconnaissance des droits de la nature.

En conclusion, la constitution Équatorienne est devenue un instrument de résistance contre les agissements des multinationales… et du gouvernement lui-même, ce qui est bien nécessaire ! Car le pays est écartelé entre sa riche biodiversité et son pétrole. Ce qui le met dans une position contradictoire, illustrée par ces deux exemples :

  1. Les indiens de Sarayaku se battent pour protéger leur territoire contre l’industrie du pétrole. Un comble, au vue d’une constitution qui devrait justement les protéger. [6]
  2. Le projet Yasuni ITT part d’une bonne intention : l’Équateur demande un dédommagement à la communauté internationale, pour compenser les pertes de rente dues à la non exploitation de ressources pétrolières en Amazonie – épargnant ainsi le monde des gaz à effet de serre. Mais pourquoi faire surgir ce problème hors de ses frontières, alors que sa constitution est censée protéger ces territoires contre toute forme d’exploitation ? [7]

Pauvre Rafael

Retour sur la Place de l’Indépendance, où nous partageons l’exaltation des Équatoriens : je photographie le président tandis que me trotte en tête le chiffre de 5 %. Oui, 5 % de chômage [8], c’est ce que venait de me dire notre guide local.

Ah ça oui, le peuple équatorien peut bien être fier de son président. Mais fait-il vraiment l’unanimité ? “Les riches ne l’aiment pas”, me répond notre guide. Voilà une réponse sans surprise. Le constat n’est-il pas plutôt “A part son peuple, personne ne l’aime” ?

Car notre président semble mettre les moyens pour contrôler les médias à son avantage [9], et avoir le peuple avec lui, plutôt que son parlement.

Rafael Correa nous salue
Rafael Correa nous salue, en gardant une main sur la barre

Voilà un homme qui me donne l’impression de vouloir aller jusqu’au bout de ses convictions, contre vents et marées, et tant pis si la démocratie en prend un coup, tant pis si ses décisions ne servent pas la mondialisation. Hélas, c’est sans doute cette dernière qui décidera du sort du pays. Allez jeter un œil sur l’étude économique faite par la Coface : voilà sur quoi est jugé un pays, et ça me désole !

Alors je préfère garder l’image, certainement subjective, que peut avoir un touriste n’ayant passé que deux semaines dans cette contrée : celle d’un “pays du sud” qui s’en sort bien, qui prend son destin en main, et qu’on aimerait montrer en exemple…

Pourvu que son capitaine ne se fasse pas emporter par la tempête…

"Le libre-échange profite au plus compétitif, au plus productif, à celui qui a la meilleure technologie. Nous ne sommes pas contre le commerce, mais contre l'ouverture à tout va..." (Rafael Correa)

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La dictature du carbone par Frédéric Denhez

La dictature du carbone

Et si nous mesurions nos actes au carbone émis ? Voilà qui serait révélateur du coût réel de notre société. Plongeons donc dans ce gaz, avec un livre qui a marqué mon esprit, je l’avoue.

Écrasé par le carbone

La dictature du carbone par Frédéric Denhez
Un livre pesant 1kg de CO2

Frédéric Denhez est un auteur-journaliste scientifique spécialisé dans l’environnement, aux multiples compétences, très prolifique en ce qui concerne la crise climatique ou la nature. La maitrise de ses sujets se ressent d’emblée dans son livre “La dictature du carbone”, qui veut nous éclairer sur ce qu’est réellement le “carbone”, et nous démontrer que les bonnes mesures à prendre ne sont pas forcément celles que l’on croit.

A la fermeture du livre, c’est mission accomplie, mais on se sent écrasé par l’impact (caché) de nos actes, et impuissant à changer les choses (vivre nu dans la forêt n’étant pas encore une solution envisageable).

L’anthropocène

Son livre commence par les faits : car si nous ne croyons pas qu’il y a réchauffement climatique, autant tout de suite arrêter cette lecture et enfourcher son quad pour une balade en nature…

Denhez nous explique le cycle complexe du carbone, sur lequel je ne m’étend pas ici (car d’autres le font très bien), pour conclure que c’est bien du dioxyde de carbone qu’il faut s’inquiéter (et non des vapeurs d’eau), et que même si la contribution humaine est comparable à “une cuillerée de fioul dans la chaudière d’un porte-avions” , cela représente une croissance annuelle de 1,24 % du réservoir atmosphérique. Au final, le stock de carbone dans l’atmosphère a augmenté de 36 % sur le siècle, à cause de nous. “C’est à se demander si la planète n’est pas entrée, à cause de son espèce majeure, dans une ère géologique nouvelle, l’anthropocène.” (p. 44)

E = CO2

Du carbone, nous en émettons à la pelle, et une bonne partie nous est cachée. Bien-sûr il y a le transport et le chauffage. Mais il y a surtout la fabrication de nos produits (carbone gris), matériels comme alimentaires, et une mondialisation qui augmente la facture par leurs transports (énergie grise). Nos importations pèsent tellement dans la balance que, combinés avec l’émission du secteur tertiaire (35 %), “les écogestes tant vantés ne servent à rien pour sauver la planète” (p. 58).

Pourtant, nous améliorons nos technologies pour moins dépenser d’énergie ! Oui, mais il y a l’effet rebond…

Quand ça rebondit

Parce que nos produits consomment moins, nous les achetons plus gros, nous faisons plus de kilomètres, nous chauffons plus, etc. Voilà l’effet rebond : l’amélioration du rendement crée un phénomène d’appel qui, au total, ne diminue pas la facture énergétique. C’est même le contraire, car nous sommes de plus en plus nombreux à avoir accès à cette consommation. Constat : “Nos émissions ont légèrement augmenté en dix-sept ans, alors que le secteur industriel a, lui, diminué de 10 % ses rejets, et ce en dépit de la hausse de la production liée à celle de la demande.” (p. 63)

(Entre parenthèse, on parle aussi d’un phénomène d’appel à propos de l’élargissement du ring de Bruxelles…)

Or, nous devrions diviser nos émissions par… quatre ! Et on n’y arrivera pas avec des fausses mesures, privilégiant le PIB et non l’atmosphère. En voici un exemple, qui vous concerne peut-être…

Votre nouvelle petite voiture consomme autant qu’une grosse berline familiale

Voyons les “primes à la casse”, incitant à se débarrasser d’un vieux véhicule polluant, au profit d’un nouveau bien plus performant.

Alors, vous avez fait un geste pour la planète, en changeant votre R5 (150 gr/km) pour une Clio (120 gr/km) ? Eh bien c’est l’industrie qui vous remercie, et non la nature : à la sortie de l’usine, votre voiture neuve a déjà émis 7 à 8 tonnes de CO2, pour sa fabrication. Si vous roulez en moyenne 15.000 km par an, vous “amortirez” votre crédit en… 15 ans. Mais comme vous la revendrez probablement au bout de 7 ans, “ce sera comme si la petite voiture verte avait émis 66 grammes de CO2 en plus par kilomètre” (p. 142).

Ça ne va pas faire plaisir aux enthousiastes de la croissance, mais l’issue la plus soucieuse de notre environnement est de garder nos appareils le plus longtemps possible, fussent-ils plus énergivores. Ou d’acheter en deuxième main car, c’est une vue de l’esprit, on peut alors considérer que la dette carbone est sur la tête du premier acheteur, celui-là même qui fait tourner l’économie.

Voiture bac à fleurs
Une voiture ayant largement remboursé son impact carbone !

Mangez de la viande !

Dans la masse d’informations et de calculs donnés par Denhez, ceci est anecdotique, mais je ne résiste pas à en parler : mangeons de la viande !

Pourtant, une blanquette pour 8-10 personnes équivaut à rouler 370km en voiture (en Clio, tiens !). Mes ces calculs sont faits sur une moyenne, celle-ci largement tirée vers le haut par les élevages intensifs, combinés au transport. Or, parlant d’un élevage naturel : “une prairie à viande compenserait le quart, voire la moitié des émissions qu’engendrent les vaches qui la broutent et la chaîne d’activité qui les transforment” (p. 156). Combiné avec d’autres techniques de fourrage, on diminuerait par 3 ou 4 la facture CO2 (et le calcul est semblable pour la consommation en eau, dès lors que l’on quitte l’élevage intensif).

Et l’auteur persiste et signe : “La prairie, c’est le paysage agricole le plus menacé à l’échelle du monde.” (p. 162). Ne plus consommer de bovins signerait la disparition de ces espaces qui sont des excellents “puits à carbone” (à opposer aux “fontaines à carbone” qui sont les émetteurs).

Un livre de 1 kg

Toutefois attention, l’auteur avance des résultats qui sont difficiles à calculer. Il écrit que son livre pèserait 1kg eq. CO2 : mais selon une étude du Washington Post, ce serait plutôt 7,5 ! Ce qui, par rapport à une liseuse électronique (entre 168 et 250 kg), donne des conclusions opposées : pour Denhez, le livre est plus écologique car on peut en lire 250 avant d’atteindre la facture carbone d’une liseuse, alors que le W.P. donne le  chiffre de… 23, donnant donc celle-ci gagnante.

Dictature et évasion

La dictature du carbone ? Le mot n’est pas trop fort : Denhez nous révèle à quel point notre mode de vie… nous plonge dans le gaz ! “Multiplié par le grand nombre, les petits gestes citoyens auraient dû avoir un impact sur nos émissions de gaz à effet de serre, mais ils ont été corrigés par la surconsommation et l’importation de produits manufacturés gavés d’énergie grise et de carbone gris.” (p.272)

L’auteur donne des mesures pour corriger le tir : elles passent aussi bien par notre comportement que par des décisions politiques et des choix de société. La tâche est immense, même au niveau de ma simple personne ! Car si revois ma consommation à la baisse, et que je suis devenu sourcilleux à acheter du matériel high-tech ou neuf, je dois reconnaître que mon crédit carbone explose avec mon voyage à l’autre bout du monde, que je m’apprête à faire dans quelques jours.

Il y a de quoi en débattre, mais ce sera pour un prochain article…

“La dictature du carbone” par Frédéric Denhez, 300 pages, Fayard

"Ce que nous boufferons, ce que nous achèterons demain dira au monde ce qu'il devra être." (p. 193)

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