Archives mensuelles : mai 2013

Philippe Patouraux, ou l’envie de faire bouger les lignes

Vouloir changer le cours des choses, c’est plus qu’un souhait pour Philippe Patouraux : c’est son métier. Cela faisait longtemps que je voulais l’interviewer, mais pour aborder un professionnel du “développement soutenable”, j’avais besoin d’un bon bagage : après plus d’un an de lectures et de blog, je me sentais prêt.

Voici le compte rendu de 1h32 d’interview informelle…

A la recherche des valeurs citoyennes

Philippe habite la Cité Radieuse (Le Corbusier) : tout un symbole !
Philippe habite la Cité Radieuse (Le Corbusier) : tout un symbole !

Sociologue de formation, mais “touche à tout” qui l’a fait exercer quelques métiers sans rapport avec nos préoccupations, Philippe est arrivé au constat que les valeurs des individus ont du mal à s’exprimer dans les organisations : “Je me suis rendu compte à quel point les organisations sont capables de réduire à néant les potentiels des individus. Et comme la distance est parfois abyssale entre l’évolution des valeurs dans le société civile et celle dans les entreprises.

Quand, arrivé en France, il a un patron “pas terrible”, c’est l’emploi de trop qui le fait décider de changer de cap : il se met à son compte, se consacrant aux thématiques de la “durabilité”.

Il est installé depuis une dizaine d’années à Marseille, mais c’est récemment qu’il fonde, avec trois autres associés, une société coopérative : Territoire & Environnement. Le but est de former et accompagner des collectivités (villes, communes…) pour, par exemple, mettre en place un Agenda 21 local ou un Plan Climat. Tout comme d’assister les entreprises dans des démarches R.S.E. (Responsabilité sociétale des entreprises) : les diagnostics énergétiques y ont une bonne part, mais Philippe est spécialisé dans un autre domaine, celui de l’humain.

Humains après tout

Et c’est même son cheval de bataille, considérant son rôle comme facilitateur et non comme un consultant prodiguant ses connaissances. Car il s’agit de mettre en place une  “bonne gouvernance”, et cela passe par faire exprimer la créativité des membres de l’organisation.

La connaissance, elle est là. Simplement, aujourd’hui, toutes les organisations n’ont pas la capacité de permettre à cette connaissance de s’exprimer dans l’entreprise. Donc le facilitateur va aider les salariés, les employés, etc, à exprimer toute leur créativité et les idées novatrices.

Et pourquoi tout ça, Philippe ? Eh bien, pour “saisir la bonne idée qui nous permettra justement d’aborder les choses autrement, plus respectueuses de l’environnement et de l’humain” . Car il faut faire adopter le développement durable non pas pour la rentabilité mais pour donner libre court au potentiel créatif des employés.

Vous l’aurez compris : Philippe ne cherche pas la confrontation ou la culpabilisation : professionnel de la nature humaine, il sait que le changement de comportement se fera par l’incitation, l’envie, et non par la contrainte.

Facilitateur Probe

Mais comment tout cela fonctionne-t-il, concrètement ?

En fait, Philippe et son équipe sont facilitateurs PROBE : “On est capable d’évaluer la durabilité d’une organisation, à partir d’une auto-évaluation, et ce en une journée” .

PROBE est un outil d’évaluation qui couvre tous les sujets de la durabilité, tout en clarifiant ce terme, pour arriver à des mesures concrètes : les points forts et les points faibles, mais aussi de se comparer à d’autres entreprises, dans le même secteur d’activité par exemple.

Cette évaluation est faite par un “consensus d’équipe”, càd que ce sont les employés qui répondent aux questions, d’où l’importance des “facilitateurs” comme Philippe. Le patron ne se trouve pas à la même table : “On veut qu’il y ait une liberté de parole, où les choses soient dites ! Et parfois on a des surprises, entre la vision du patron et celle de ses employés ! ” .

Nous avons vu en début d’article que Philippe était mécontent de la place de l’individu dans les organisations : avec son activité de facilitateur, il a trouvé exactement le bon rôle pour faire changer cet état de fait !

Financer l’invisible

A côté de cette activité, Philippe a co-créé Next World, une association pour “Penser au futur, agir au présent”. Au départ plateforme d’information pour une transition vers la durabilité, elle est devenue depuis peu un fond de dotation : “Dans les années qui viennent, notre but est d’avoir des petites sources de financement pour des petites expériences innovantes, au niveau d’un territoire, très localement : on veut financer l’invisible, ces toutes petites organisations qui ont des idées innovantes, et qui généralement n’entrent pas dans les cases de l’aide publique.

Ce financement vient d’entreprises et de leaders ayant envie de faire bouger les choses, en expérimentant de manière très concrète : c’est du mécénat, tout simplement. Mais était-ce utile de créer une énième fondation, n’aurait-il pas pu rejoindre une des nombreuses associations existantes ?

C’est la diversité : c’est bien d’en avoir, que le pouvoir ne soit pas toujours dans les mains des mêmes. Et puis nous ne voulons pas financer des projets à l’autre bout de la planète : on va financer des projets locaux – nous sommes dans une région où il y a vraiment besoin de ça.

En phase

Tout cela est bien beau, mais est-ce que ça “nourrit son homme” ?

J’en vis raisonnablement” (Philippe a une épouse, qui travaille, et deux enfants), il y a des hauts et des bas, mais, par la force des choses, il a compris qu’il n’était pas câblé pour une “carrière monolithique dans une entreprise” (ndlr : aïe,  je vais fêter mes 25 ans de carrière dans la même société en 2014 !) : “Tu prends toute la dimension de ton que tu peux avoir, une certaine liberté de dire les choses et de les faire, tu es en phase avec ce que tu es.”

Quand un informaticien prépare un interview...
Quand un informaticien prépare un interview…

Entre pessimisme et optimisme

Philippe veut changer le monde, et il en fait même son métier. Je ne pouvais dès lors éviter la question : quel espoir as-tu pour l’avenir ?

Je ne sais pas. Je suis des fois optimiste, des fois pessimiste” (ndlr : c’est par Philippe que j’ai eu connaissance du livre “Le Cygne Noir” de Nicholas  Taleb, pour qui répondre “Je ne sais pas” est bien plus sage que de se prononcer, comme le font tant d’experts). “Je pense que l’homme est capable de changer les choses, d’avoir des sursauts. Mais en fait ce que je crains le plus, c’est l’obscurantisme !” . Car, que ce soit dans son entourage ou dans les réseaux sociaux, Philippe est frappé par des idées qui ressurgissent, qu’il pensait appartenir au passé, et qui pourraient mettre à mal notre démocratie : “La démocratie n’est pas acquise : c’est une chose qui s’entretient” .

Voilà pourquoi Philippe croit beaucoup en la pédagogie et l’éducation : c’est par la connaissance que les gens changent de comportement, et il constate déjà une prise de conscience chez ses enfants.

Quant aux adultes, il faudrait qu’ils sortent du jugement permanent, qu’ils changent de posture face aux événements, et qu’ils développent leur sens critique…

… et c’est bien le but de mon blog.

Merci Philippe !

Changer le comportement des gens par l'incitation, plutôt que par la culpabilisation et la contrainte...

View Results

Loading ... Loading ...

Les intellectuels faussaires

Dans les médias, on donne volontiers la parole à des personnalités qui parlent bien, qui sont dans l’émotionnel : cela ne contribue pas forcément à une information de qualité, que du contraire…

Intellectuels blabla

Pascal Boniface est un géopolitique français, directeur de l’IRIS (Institut des Relations internationales et stratégiques), auteur de plusieurs dizaines d’ouvrages dont “50 idées reçues sur l’état du monde”, lu il y a peu et dans lequel je reconnaissais un discours assez réfléchi sur certains problèmes actuels.

Dans ce livre-ci, il continue sa bataille contre la désinformation, en critiquant certains intellectuels qui défendent des points de vue ou des causes, plus guidés par des objectifs personnels que par le soucis d’une information éclairée et d’un débat d’idées. On est en effet loin des penseurs qui ont donné à la France sa réputation de patrie des intellectuels : “Les géants comme Aron ou Sartre, lorsqu’ils s’engageaient dans le début public, le faisait à partir d’une œuvre conséquente.” (p. 23)

Mobilou s'abrite : une tarte pourrait bien voler !
Mobilou s’abrite : une tarte pourrait bien voler !

Comme la spécialité de l’auteur est la géopolitique, et que dans ce domaine les sujets qui fâchent portent souvent sur le conflit Israélo-Palestinien, son livre est très ciblé, et n’a que peu d’intérêt si on n’est pas intéressé par le conflit susmentionné, ou si on ne suit pas l’actualité française.

Quoique, on a bien parlé chez nous d’une ces personnalités : je vous dis “Burka blabla” et je vous laisse deviner de qui il s’agit dans les cinq portraits qui suivent…

Liste noire

Bon, soyons concrets : qui sont ces faussaires, qu’on laisse parler, et surtout qu’on écoute encore, malgré quelques faux pas ? L’auteur en dénonce huit (en huit chapitres dont j’ai repris le titre) mais je ne vous en présente que cinq, avec leurs photos (je vous gâte, car moi je ne les avais pas !). Les trois qui restent, Thérèse Delpech, Frédéric Encel et François Heisbourg, m’ont lassé…

Les merveilleuses histoires de l’oncle Alexandre

Alexandre AdlerAlexandre Adler est historien et journaliste français : “L’ami Alexandre a un formidable talent pour parler sans notes et évoquer savamment tous les sujets internationaux.” (p. 81). Son livre “J’ai vu finir le monde ancien” est un best-seller qui remporte un prix en 2003 : il y prévoit beaucoup de choses qui n’ont jamais eu lieu depuis lors, et invente un lien entre Ben Laden et Saddam Hussein…

Sérial-menteuse

Caroline FourestCaroline Fourest a la grande force d’ “enfourcher des chevaux de bataille largement majoritaires dans l’opinion et plus encore parmi les élites médiatiques.” (p. 93). L’auteur lui reproche beaucoup d’approximations et de raccourcis, ainsi que d’être adepte du “qui n’est pas contre lui est donc avec lui” ! Son vocabulaire, fourni en “inquiétant”, “sinistre”, “terrifiant” et “à glacer le sang”, vise bien à faire trembler dans les chaumières…

Pourfendeur utile de l’islamisme

Mohamed SifaouiMohamed Sifaoui est l’arabe exemplaire à inviter sur les plateaux car il est pro-israélien et pourfendeur de l’islamisme, qu’il connait de l’intérieur. Le problème, c’est que ce journaliste fait des reportages comme “J’ai infiltré une cellule islamiste” , où il aurait fait mieux que le Service des renseignements français : infiltrer une cellule d’Al-Qaïda ! Accusé de mise en scène, ça ne l’empêchera pas de recevoir le 1er prix du scoop et du journalisme d’Angers !

L’inquisiteur

Philippe ValPhilippe Val est un “inquisiteur qui veut excommunier et pourchasser les mécréants qui ne partagent pas ses idées, ou pire encore qui ont osé exprimer publiquement un désaccord avec le dogme qu’il défend.” (p. 151) À la mauvaise surprise de la profession, il est parvenu jusqu’au poste de directeur de France Inter, jalonnant son parcours des démissions et licenciements de ceux qui ont osé s’opposer à ses idées.

Le seigneur et maître des faussaires

Bernard Henry LevyBernard Henry Levyest certainement le modèle même du faussaire, le maître absolu, le mètre étalon.” (p. 167) Grand ami des hommes du pouvoir et des industriels français qui ont la main sur la presse et l’édition, plus d’un s’est brûlé les ailes en critiquant le personnage. BHL a beau cumuler les approximations, affirmations mensongères et contrevérités, la majorité des journalistes le suivent, et c’est cela qui inquiète l’auteur.

Plus de 130 livres

Je respecte Pascal Boniface et j’apprécie son jugement qui me semble plus objectif et moins émotionnel ou intéressé que ceux qu’il dénonce… Mais je ne vous cacherai pas ma déception : avec comme sous-titre “Le triomphe médiatique des experts en mensonge”, je m’attendais à une plongée dans les fausses études, les pseudos scientifiques payés par l’industrie, les économistes qui sont toujours là malgré leurs erreurs…

Au lieu de cela on a un livre très franco-français, au titre un peu… “faussaire”, pour ne pas dire racoleur ! Quels enseignements en tirer ?

En fait, il m’a conforté dans l’idée que beaucoup d’intellectuels de notre temps s’expriment plus avec leurs tripes qu’avec sagesse : l’exposition médiatique y est pour beaucoup. Ces huit “faussaires” totalisent plus de 130 publications, dont beaucoup de best-sellers, ainsi que de prix remportés : ils sont peut-être plus passionnants à lire que des auteurs moins médiatisés (ceci expliquant cela), mais n’est-ce pas de la littérature “toxique” ?

En attendant, j’ai “American Vertigo” qui prend la poussière dans ma bibliothèque : cela fait des mois que j’hésite à le commencer. Mais maintenant c’est sûr, je ne le lirai pas. Car il est signé d’un certain BHL…

“Les intellectuels faussaires”, par Pascal Boniface, 231 pages, Pocket.

Bernard-Henry Lévy est recordman du monde de l'entartage...

View Results

Loading ... Loading ...

De l’utilité des paradis fiscaux

Que ma banque éthique, Triodos, ait recours aux paradis fiscaux, voilà une nouvelle désolante. Et pourtant, cela semble bien nécessaire…

Toutes les mêmes

Comme la plupart d’entre vous le savent, ma banque c’est Triodos, et je ne manque pas d’en faire sa publicité.

Aussi, quand l’autre jour le nouveau journal “Marianne Belgique” épingla Triodos dans la liste des banques ayant recours à l’offshore au Luxembourg, au Panama ou à l’Île Maurice, j’en fut chagriné. D’autant plus que la nouvelle me parvenait par un mail envoyé par mon épouse, qu’elle avait intitulé “Toutes les mêmes” !

La réponse de Triodos fut prompt à venir, je l’avais lue mais restais dans l’expectative. Une explication plus claire et rassurante viendra de la bouche-même des patrons de la banque, une semaine plus tard…

Questions pour des patrons

Chaque année, Triodos organise une journée en l’honneur des détenteurs de certificats, soit les personnes comme moi qui capitalisent la banque – j’y reviendrai un autre jour. Cet événement eu lieu le dernier samedi d’avril, à point nommé !

Dans un auditoire rempli de quelques centaines de personnes, Olivier Marquet (patron pour la Belgique) et Peter Blom (patron pour les Pays Bas) présentèrent les résultats et objectifs de la banque (que je résumerais par +20 % dans la plupart des domaines !), et surtout purent répondre aux nombreuses questions concernant cet OffshoreLeaks dans lequel on n’aurait pas dû voir Triodos…

Triodos
Les patrons de Triodos ne sont pas au large…

Le Luxembourg à notre service

“Amalgame” fut le maître mot de toute cette affaire, et la recherche du sensationnel a pris le pas sur une enquête en profondeur… Jusqu’à cette assemblée, je me demandais pourquoi Triodos ne se passait pas de ces systèmes offshore, et prenait un tel risque médiatique ? La réponse est simple : ces “paradis fiscaux” sont nécessaires pour investir dans des pays avec lesquels nous n’avons pas d’infrastructure financière.

Par exemple, à moins de donner de l’argent comme le font les ONG, il n’est pas possible d’investir en Inde : il faut passer par une place financière intermédiaire, qui non seulement dispose d’un réseau d’échange, mais en plus a une renommée – Triodos et de nombreuses autres banques n’ont aucune représentation mondiale.

Et un pays comme le Luxembourg offre de telles facilités – de tels services, devrais-je dire !

Nuances de gris

Ce n’est pas la première fois que j’apprends cette information : les paradis fiscaux ont une utilité. Et ça me fait mal de l’écrire ! Mais j’avais “un œuf à peler” avec de nombreux auteurs que j’ai lus, et qui prônent la disparition des paradis fiscaux : ils omettent bien de nous informer de cette donnée, par ignorance ou plus probablement parce que, quand on veut condamner quelque chose, il ne faut montrer que son “côté obscur”…

Le soir du même jour que l’assemblée de Triodos, je rencontrais justement Paul Jorion, lors de son “Spaghetti Vicomte”. Celui-ci préconisant de “Mettre hors d’état de nuire les paradis fiscaux” (« Misère de la pensée économique », p. 198), je lui expliquais ce que j’avais appris sur l’utilité des places offshore. Jorion ne m’a pas contredit…

Au café "Le Vicomte", nous refaisons le monde, avec Paul Jorion
Au café “Le Vicomte”, nous refaisons le monde, avec Paul Jorion

… Mais il a émis des réserves sur la justification de Triodos à les utiliser !

Décidément, il est bien difficile de se faire une opinion. Je reste persuadé que les paradis fiscaux font plus de mal que de bien, mais je préfèrerais que l’on tire une autre leçon de mon article : tout n’est pas noir ou blanc, on est souvent dans les nuances de gris. Alors soyons plus réservés dans nos jugements, car la marge entre “informé” et “influencé” est faible…

Le monde se porterait-il mieux sans paradis fiscaux ? (répondez avec vos tripes : tant pis si on ne sait pas tout !)

View Results

Loading ... Loading ...