Archives mensuelles : octobre 2012

La dictature du carbone par Frédéric Denhez

La dictature du carbone

Et si nous mesurions nos actes au carbone émis ? Voilà qui serait révélateur du coût réel de notre société. Plongeons donc dans ce gaz, avec un livre qui a marqué mon esprit, je l’avoue.

Écrasé par le carbone

La dictature du carbone par Frédéric Denhez
Un livre pesant 1kg de CO2

Frédéric Denhez est un auteur-journaliste scientifique spécialisé dans l’environnement, aux multiples compétences, très prolifique en ce qui concerne la crise climatique ou la nature. La maitrise de ses sujets se ressent d’emblée dans son livre “La dictature du carbone”, qui veut nous éclairer sur ce qu’est réellement le “carbone”, et nous démontrer que les bonnes mesures à prendre ne sont pas forcément celles que l’on croit.

A la fermeture du livre, c’est mission accomplie, mais on se sent écrasé par l’impact (caché) de nos actes, et impuissant à changer les choses (vivre nu dans la forêt n’étant pas encore une solution envisageable).

L’anthropocène

Son livre commence par les faits : car si nous ne croyons pas qu’il y a réchauffement climatique, autant tout de suite arrêter cette lecture et enfourcher son quad pour une balade en nature…

Denhez nous explique le cycle complexe du carbone, sur lequel je ne m’étend pas ici (car d’autres le font très bien), pour conclure que c’est bien du dioxyde de carbone qu’il faut s’inquiéter (et non des vapeurs d’eau), et que même si la contribution humaine est comparable à “une cuillerée de fioul dans la chaudière d’un porte-avions” , cela représente une croissance annuelle de 1,24 % du réservoir atmosphérique. Au final, le stock de carbone dans l’atmosphère a augmenté de 36 % sur le siècle, à cause de nous. “C’est à se demander si la planète n’est pas entrée, à cause de son espèce majeure, dans une ère géologique nouvelle, l’anthropocène.” (p. 44)

E = CO2

Du carbone, nous en émettons à la pelle, et une bonne partie nous est cachée. Bien-sûr il y a le transport et le chauffage. Mais il y a surtout la fabrication de nos produits (carbone gris), matériels comme alimentaires, et une mondialisation qui augmente la facture par leurs transports (énergie grise). Nos importations pèsent tellement dans la balance que, combinés avec l’émission du secteur tertiaire (35 %), “les écogestes tant vantés ne servent à rien pour sauver la planète” (p. 58).

Pourtant, nous améliorons nos technologies pour moins dépenser d’énergie ! Oui, mais il y a l’effet rebond…

Quand ça rebondit

Parce que nos produits consomment moins, nous les achetons plus gros, nous faisons plus de kilomètres, nous chauffons plus, etc. Voilà l’effet rebond : l’amélioration du rendement crée un phénomène d’appel qui, au total, ne diminue pas la facture énergétique. C’est même le contraire, car nous sommes de plus en plus nombreux à avoir accès à cette consommation. Constat : “Nos émissions ont légèrement augmenté en dix-sept ans, alors que le secteur industriel a, lui, diminué de 10 % ses rejets, et ce en dépit de la hausse de la production liée à celle de la demande.” (p. 63)

(Entre parenthèse, on parle aussi d’un phénomène d’appel à propos de l’élargissement du ring de Bruxelles…)

Or, nous devrions diviser nos émissions par… quatre ! Et on n’y arrivera pas avec des fausses mesures, privilégiant le PIB et non l’atmosphère. En voici un exemple, qui vous concerne peut-être…

Votre nouvelle petite voiture consomme autant qu’une grosse berline familiale

Voyons les “primes à la casse”, incitant à se débarrasser d’un vieux véhicule polluant, au profit d’un nouveau bien plus performant.

Alors, vous avez fait un geste pour la planète, en changeant votre R5 (150 gr/km) pour une Clio (120 gr/km) ? Eh bien c’est l’industrie qui vous remercie, et non la nature : à la sortie de l’usine, votre voiture neuve a déjà émis 7 à 8 tonnes de CO2, pour sa fabrication. Si vous roulez en moyenne 15.000 km par an, vous “amortirez” votre crédit en… 15 ans. Mais comme vous la revendrez probablement au bout de 7 ans, “ce sera comme si la petite voiture verte avait émis 66 grammes de CO2 en plus par kilomètre” (p. 142).

Ça ne va pas faire plaisir aux enthousiastes de la croissance, mais l’issue la plus soucieuse de notre environnement est de garder nos appareils le plus longtemps possible, fussent-ils plus énergivores. Ou d’acheter en deuxième main car, c’est une vue de l’esprit, on peut alors considérer que la dette carbone est sur la tête du premier acheteur, celui-là même qui fait tourner l’économie.

Voiture bac à fleurs
Une voiture ayant largement remboursé son impact carbone !

Mangez de la viande !

Dans la masse d’informations et de calculs donnés par Denhez, ceci est anecdotique, mais je ne résiste pas à en parler : mangeons de la viande !

Pourtant, une blanquette pour 8-10 personnes équivaut à rouler 370km en voiture (en Clio, tiens !). Mes ces calculs sont faits sur une moyenne, celle-ci largement tirée vers le haut par les élevages intensifs, combinés au transport. Or, parlant d’un élevage naturel : “une prairie à viande compenserait le quart, voire la moitié des émissions qu’engendrent les vaches qui la broutent et la chaîne d’activité qui les transforment” (p. 156). Combiné avec d’autres techniques de fourrage, on diminuerait par 3 ou 4 la facture CO2 (et le calcul est semblable pour la consommation en eau, dès lors que l’on quitte l’élevage intensif).

Et l’auteur persiste et signe : “La prairie, c’est le paysage agricole le plus menacé à l’échelle du monde.” (p. 162). Ne plus consommer de bovins signerait la disparition de ces espaces qui sont des excellents “puits à carbone” (à opposer aux “fontaines à carbone” qui sont les émetteurs).

Un livre de 1 kg

Toutefois attention, l’auteur avance des résultats qui sont difficiles à calculer. Il écrit que son livre pèserait 1kg eq. CO2 : mais selon une étude du Washington Post, ce serait plutôt 7,5 ! Ce qui, par rapport à une liseuse électronique (entre 168 et 250 kg), donne des conclusions opposées : pour Denhez, le livre est plus écologique car on peut en lire 250 avant d’atteindre la facture carbone d’une liseuse, alors que le W.P. donne le  chiffre de… 23, donnant donc celle-ci gagnante.

Dictature et évasion

La dictature du carbone ? Le mot n’est pas trop fort : Denhez nous révèle à quel point notre mode de vie… nous plonge dans le gaz ! “Multiplié par le grand nombre, les petits gestes citoyens auraient dû avoir un impact sur nos émissions de gaz à effet de serre, mais ils ont été corrigés par la surconsommation et l’importation de produits manufacturés gavés d’énergie grise et de carbone gris.” (p.272)

L’auteur donne des mesures pour corriger le tir : elles passent aussi bien par notre comportement que par des décisions politiques et des choix de société. La tâche est immense, même au niveau de ma simple personne ! Car si revois ma consommation à la baisse, et que je suis devenu sourcilleux à acheter du matériel high-tech ou neuf, je dois reconnaître que mon crédit carbone explose avec mon voyage à l’autre bout du monde, que je m’apprête à faire dans quelques jours.

Il y a de quoi en débattre, mais ce sera pour un prochain article…

“La dictature du carbone” par Frédéric Denhez, 300 pages, Fayard

"Ce que nous boufferons, ce que nous achèterons demain dira au monde ce qu'il devra être." (p. 193)

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ExtraPaul racommode ses chaussettes

Sauvons les chaussettes

Probablement parce que nous n’avons pas connu la guerre, certainement parce que le culte de la croissance passe par le gaspillage, nous avons plein de petites habitudes qu’il est difficile de justifier….

J’ai déjà abordé le génocide des gobelets, cette fois c’est au tour des chaussettes jetées un peu vite : un sujet rarement abordé, une injustice que je n’ai pas peur de dénoncer !

It’s a wonderful world… of waste

D’abord je l’avoue, jusqu’il y a peu, mes paires de chaussettes subissaient de plein fouet la dure loi de la sélection naturelle, qui fait si bien l’affaire de notre économie : t’as un défaut, tu disparais… et te fais remplacer ! Le défaut, en l’occurrence, étant un trou apparaissant au niveau de mon gros orteil, dont l’ongle, pas assez souvent coupé je l’avoue, repoussait dans ses derniers retranchements la résistance des matériaux – le génie humain n’a pas encore tout résolu.

Ah, ces chaussettes que l’on jette pour un trou : c’est un double drame. Car ces tricots, en plus de vivre aux extrêmes, sont liés comme des siamois : si l’un d’eux a une faiblesse, c’est une fin funeste pour tous les deux (la belle affaire !).

Changeons les chausses

Jusqu’il y a peu, disais-je, c’était “Chaussette à trou, chaussette que je désavoue”. Sans état-d’âme !

Jusqu’au jour où, à force de m’informer / m’intoxiquer par le greenwatching, une voix apparut dans ma tête : c’était celle de Yann Arthus-Bertrand qui, dans un “La chaussette vue du ciel, me disait : “Savez-vous qu’il faut 300 litres d’eau pour faire une paire de chaussette ?” (imaginez le chiffre 300 apparaissant alors que nous survolons un champ de coton…). Et d’enchaîner : “Mais heureusement il y a des hommes qui se battent pour changer les choses. Et j’en ai rencontré un : il s’appelle ExtraPaul ” .

ExtraPaul racommode ses chaussettes
Un travail qui crée des liens

La croissance aura le moral dans les chaussettes

Revenons sur terre : j’ai pris les armes ! Aiguille au poing, j’ai crié à la face du monde que dorénavant je réparerai mes chaussettes.

Et il m’a fallu combattre un dogme, une loi, un non-dit : quand on gagne bien sa vie, on ne se rabaisse pas à raccommoder ses chaussettes, on les remplace !

Et bien, je ne joue plus le jeu ! Et tant pis pour les chinois de Datang, tant pis pour Blacksocks et son abonnement aux chaussettes, tant pis si tout un pan de l’économie s’effondre par mon comportement à rebrousse-poil : “La crise de la chaussette semble avoir démarré quelque part en Belgique” , lira-t-on dans les livres d’histoire.

Allez, je vous laisse : j’ai du monde à opérer…


Attention : activité pouvant créer une addiction

Quand vos chaussettes ont des trous...

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Mobilou lit "La mondialisation expliquée à ma fille"

La mondialisation racontée à sa fille

J’écrivais, la dernière fois, que les trois quarts de l’humanité étaient à la traîne, ne profitant pas d’un confort comme le nôtre. A ma question “Ont-ils une chance de s’en sortir ?”, Oswaldo De Rivero répondait que ce n’est pas la mondialisation qui les aidera !

Écoutons maintenant André Fourçans, qui nous explique quasiment le contraire…

La fille du professeur

Mobilou lit "La mondialisation expliquée à ma fille"
La mondialisation expliquée à Mobilou

André Fourçans est professeur d’économie, et s’adresse à sa fille avec ce livre : “La mondialisation racontée à ma fille”.

Didactique, facile à lire, cet ouvrage a comme but premier de remettre les pendules à l’heure : on a beau parler des choses qui vont mal, globalement, l’humanité va vers un mieux, grâce à la mondialisation. L’auteur tente de nous rassurer en 21 thèmes, comme la pauvreté, l’environnement, l’emploi, le vieillissement, la culture, les multinationales…

Survolons-en quelques-uns, en prenant garde de ne pas déborder sur l’économie, objet d’un “L’Économie raconté à ma fille”, que je ne manquerai pas de lire aussi…

Des pays spécialisés

La mondialisation, c’est appliquer à la planète la gestion optimisée des ressources et compétences. C’est ainsi, et il faudra s’y faire. Il faut penser “global” : laisser à chaque pays la production dans laquelle il est le meilleur. Même si un pays est capable de faire un produit ou un service, il doit le laisser à un autre qui en serait encore plus capable ! Voilà pourquoi il faut arrêter le protectionnisme et laisser libre cours au libre-échange : nos pays en profitent aussi.

Fourçans reconnait que tout n’est pas parfait, mais dans la balance, il y a plus de bon que de mal : l’amélioration de notre niveau de vie en est le résultat.

Mais je m’interroge : “notre”, ça englobe tout le monde ?

1970 est derrière nous

Oui, tout le monde, et Fourçans nous rassure là où De Rivero nous alarme : la pauvreté a globalement diminué, et “les inégalités entre pays auraient atteint leur maximum dans les années 1970.” (p. 117).  Depuis lors, c’est le rattrapage, grâce à la croissance économique, obtenue en s’ouvrant à l’international. “Ce n’est pas pure coïncidence si les pays de l’Est asiatique ont fait preuve d’un dynamisme sans comparaison aucune avec la lenteur des contrées protégées d’Amérique latine, de l’Asie du Sud ou de l’Afrique subsaharienne.” (p. 122)

Allez, je laisse dire et passons à la suite…

L’argent vadrouille et fait le bien

Et la finance, et les oligarchies chères à Jean Ziegler, dans tout ça ?

Eh bien notre professeur en économie est plutôt conciliant (Non ? Si !) : “L’argent international en vadrouille aux quatre coins de la planète a une fonction éminemment importante : aider à financer le développement…” (p. 132). Mais il reconnaît que ça fait mal quand ces investissements claquent brutalement la porte !

Et la “World Company” risque-t-elle de dominer le monde ? Non, gigantisme ne signifie pas domination. “Leur marché est le monde et leur secteur très concurrentiel.” (p. 41)

Biensûr il y toujours des vilains petits canards aux pratiques peu scrupuleuses, mais c’est comme dans tous les domaines, et il ne faudrait pas en faire une généralité.

Ouf, on respire, et profitons-en car…

Visitez le 7ème continent

… Car nous respirons bien mieux aujourd’hui, dans nos villes, qu’il y a un siècle, alors que nous produisons plus et que nous sommes bien plus nombreux. Et malgré la poursuite de cette croissance, le monde survivra “grâce aux adaptations et aux mesures à la fois technologiques, sociétales, et réglementaires.” (p. 141).

Mais que veut dire Fourçans par “nos villes” ? Le tiers-monde regorge de villes polluées et insalubres, non ?

Et cette “croissance” ne produit-elle pas une immensité de déchets, qui d’ailleurs se mondialise très bien ? J’invite l’auteur à visiter le 7e continent de plastique, œuvre la plus remarquable de notre société mondialisée. J’espère que le “progrès” sera capable de nettoyer nos océans…

Faut-il avoir peur de la mondialisation ?

Avec ce livre, André Fourçans nous rappelle le contexte des choses, nous fait prendre de la hauteur, pour contrecarrer nos “ressentis”, si bien forgés par notre monde de communications qui met en exergue ce qui ne va pas.  Même s’il modère ses propos, il ne voit que des signes annonçant une amélioration, dans tous les domaines ! Encore faut-il partager son sens de l’amélioration : pas sûr que tout le monde s’exclamera “Liberté, liberté, chérie” (p. 163) face à la demande de plus de flexibilité dans les emplois !

Cette lecture m’a conforté dans cette idée : la mondialisation fait peur au commun des mortels, qui n’est pas capable d’appréhender une mécanique économique fonctionnant maintenant au niveau mondial. Et de là à dire que c’est un bac à sables géant dans lequel seuls les économistes s’amusent, il n’y a qu’un pas !

Jean-Michel Turpin : rendez-vous en terre inconnue
© Jean-Michel Turpin

Soit. Mon petit cerveau sans envergure s’inquiète (principalement) sur deux points :

  1. Toute cette mécanique repose trop sur l’énergie (à bas prix) à mon goût. Or, sommes-nous vraiment à l’abri d’une crise énergétique, du pétrole en particulier ? Voilà un thème que Fourçans n’aborde pas vraiment, si ce n’est avec cette phrase, que je prends comme l’arbre cachant la forêt : “La consommation d’or noir des pays riches a diminué de 50 % si on la mesure par rapport à la production de chaque unité de richesses.” (p. 145).
  2. La mondialisation accroit les richesses de manière démesurée, et accouche d’une finance capable de mettre des pays en faillite : ça fait vraiment partie du jeu ?

Tout ça me donne l’impression que la mondialisation devrait fonctionner de pair avec une gouvernance mondiale : Fourçant aborde le sujet mais ne semble pas très inquiet. Et pourtant, cette préoccupation revient de plus en plus dans l’actualité ! Mais ça, ce sera pour un autre article…

“La mondialisation racontée à ma fille”, André Fourçans, 216 pages, Seuil

Les systèmes de protection sociale des pays riches ont été constrtuits pour le monde d'hier et non pour celui d'aujourd'hui, encore moins pour celui de demain (p. 170)

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