Archives mensuelles : septembre 2012

Le mythe du développement

Le mythe du développement

J’avais une chance sur quatre, et j’y pense chaque jour : oui, une chance sur quatre d’être parmi les plus nantis de la planète, de vivre dans une société d’opulence, sans famine, sans guerre, profitant pleinement du progrès.

Il y a donc trois quarts de l’humanité à la traîne, ne partageant pas notre confort de vie : ont-ils vraiment des chances d’y arriver ? Tentative de réponse avec Oswaldo De Rivero et son livre “Le mythe du développement”.

Non, ça ne marchera pas !

Oswaldo De Rivero a été ambassadeur péruvien pour l’ONU, et l’est maintenant pour l’OMC : comme il l’explique dans l’introduction de son livre, sa carrière le met aux premières loges pour assister aux difficultés des pays dits “en développement”. Alors il est temps de faire une mise au point, et de répondre à tous ces économistes et dirigeants des grandes puissances : non, ce n’est pas l’économie libérale et la mondialisation qui vont résoudre leurs problèmes !

Résumons quelques points…

E.C.I.

Les pays “riches”, “industrialisés”, ont une longue histoire, où la viabilité nationale a pu se mettre en place avant qu’une économie compétitive ne s’installe. Ce n’est pas le cas d’une flopée de nations qui, dans la déferlante d’indépendantismes du XXème, se sont créées sans mesurer la difficulté de leur gouvernance. La majorité de celles-ci sont donc devenues des E.C.I. : des Entités Chaotiques Ingouvernables !

L’acronyme est fort, De Rivero aime l’utiliser, et tape du poing : de tels pays ne sont pas suffisamment stables pour entreprendre les mesures nécessaires à un développement, en même temps qu’ils ne rassurent pas les entreprises transnationales à s’y installer !

Le mythe du développement
Une banlieue comme Oswaldo De Rivero doit bien connaître

C’est une autre histoire

Pour relancer leur économie, l’O.M.C. et la Banque Mondiale aiment imposer leur crédo (le Consensus de Washington), dont vous devinez la teneur, mais que je résume en quelques mots, pour les visiteurs occasionnels et les cancres au fond de la classe : libéralisation, privatisation, rigueur budgétaire, dérèglementation…

Pourtant, c’est oublier l’histoire de la Triade (Etats-Unis, Japon, Europe) : ces nations n’ont pas atteint leur puissance économique en appliquant ces directives, bien au contraire ! De plus, elles ont pu se développer à une époque où moins de nations étaient en concurrence : “Depuis que les États-nations industrialisés sont apparus, il y a 150 ans, plus de 185 États-nations sont apparus.” (p. 158)

Une économie Darwinienne

Les économistes aiment citer Adam Smith comme l’inspirateur du nouvel ordre économique mondial. Pourtant “Rien n’est plus éloigné des principes libéraux et moraux de l’économiste politique d’Adam Smith, et plus proche d’une jungle régie par la loi de sélection naturelle de Charles Darwin, que l’actuel processus de mondialisation.” (p. 94)

Les pays sont en concurrence et les nations sous-développées ont démarré la course avec une longueur de retard, retard qui se creuse. Car il serait illusoire de croire qu’elles pourront compter sur leur main-d’oeuvre ou leurs matières premières pour améliorer leur sort. Non seulement certaines matières se remplacent déjà par des produits synthétiques, mais en plus ce sont les “produits à fort contenu technologique” qui apportent le plus de richesse. Ce que les pays sous-développés ont peu de chances de produire : ils représentent 75 % de l’humanité pour seulement 7 % des scientifiques et ingénieurs ! (p. 135)

2 % de réussite

Bien-sûr, on voit des pays rejoindre la cour des grands : la 2ème moitié du XXème a vu la Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong Kong se transformer en pays “capitalistes modernes développés” . Mais ils ne représentent… que 2 % du tiers-monde ! Pour De Rivero, il n’y a aucune preuve que la mondialisation aide les pays en développement à s’en sortir.

Et puis il y a les pays “émergents” comme la Chine, l’Inde. Mais en fait, c’est plutôt 1/5e de leur population qui émerge ! Pour la Chine, cela représente donc 200 millions de nouveaux consommateurs : bien assez pour satisfaire un monde économique en demande de nouveaux marchés.

© Banksy

Est-ce le même monde que celui de Noemi ?

Malgré le nombre d’enseignements tirés du livre de De Rivero, je vais être sévère…

D’abord je suis étonné qu’il n’y ait pas un seul texte sur l’exploitation de la main-d’œuvre par les multinationales, tel que l’explique Noemi Klein dans son livre “No Logo”. Est-ce parce que ça ne change rien à la donne… ou parce qu’à l’image du livre, l’auteur site beaucoup de généralités et donne peu de situations concrètes ?

Ensuite, il y a la structure du livre : l’auteur se répète, les thèmes se mélangent, les chapitres donnent l’illusion que la thématique est structurée mais il n’en est rien. Pour exemple, de mémoire, l’auteur reviendra 4 ou 5 fois sur les pays soutenus par les Américains et les Russes, du temps de la guerre froide, et laissés à leur sort non viable une fois abandonnés par leurs mentors.

Bref, l’ouvrage aurait pu être écrit en deux fois moins de pages (pourtant il n’est pas bien épais), et en même temps, j’ai l’impression que l’auteur est passé à côté d’autres réalités, qu’il n’a pas présenté un panorama complet de ce thème complexe.

Tout cela est d’autant plus dommage que l’éditeur du livre se veut “une collection mondiale pour une autre mondialisation” : ce genre d’édition ne privilégie-t-elle pas l’information brute à la qualité littéraire ou journalistique ?

Bref, les pays en développement, j’y reviendrai !

“Le mythe du développement”, par Oswaldo De Rivero, éditions “Enjeux Planète”, 234 pages

87% des internautes vivent dans les pays industrialisés et dans les ghettos de revenus élevés dans les pays pauvres (p. 97). Voilà un chiffre qui en dit long sur qui profite du progrès.

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Brainstorming site G1000

G1000 : en route vers une autre démocratie

Quand j’étais gosse je ne comprenais pas à quoi servait la politique. Quand j’étais ado je ne comprenais pas pourquoi un homme politique devait appartenir à un parti. Aujourd’hui, j’ai finalement compris, évidemment, mais je me pose une autre question : notre système démocratique ne pourrait-il pas passer à la vitesse supérieure ?

Comme le montre Lazarus

A l’heure du numérique et de l’information, n’est-ce pas devenu archaïque de passer par des “élus”, qui ne pourront jamais suivre leurs convictions une fois en place ? Bien sûr notre système démocratique, c’est une belle avancée. Mais comme l’explique Lazarus, un parlement n’est pas représentatif de la population, et subit des pressions de la part de ceux qui en ont le plus de moyens.


Lazarus nous explique la démocratie

Et si nous regardons du côté des Etats-Unis, exemple de ce qui pourrait nous arriver bien malgré nous, on constate que le peuple est représenté pour moitié par des millionnaires ! Comment les intérêts d’une population peuvent-ils dans ces conditions être défendus ?

Je vote pour les citoyens !

Mais peut-on se passer de “professionnels” de la politique, pour laisser aux gens le soin de décider pour leur pays ? Oui, s’ils sont informés, encadrés, et s’ils dialoguent. C’est ce que démontre le G1000 qui, le 11 novembre 2011, rassemblait 704 citoyens autour de 32 tables de discussion, pour débattre des mesures les plus importantes à leurs yeux. En est-il sorti des mesures genre “On ne paie plus d’impôts” ou “La retraite à 45 ans” ? Non, leurs décisions n’avaient rien d’utopique : la preuve fut faite qu’un groupe de citoyens pouvait donner des recommandations qui servent l’intérêt général.

Je m’engage

En 2011 j’appris l’existence du G1000 par les médias : voyant tous ces gens débattre autour de ces dizaines de tables, à Tour & Taxi, j’aurais bien voulu en être ! Un an plus tard, une annonce dans Facebook apparaît : “cherche graphiste d’urgence”. Et hop, ni une ni deux, dans la minute je me portais volontaire, et dans la semaine j’étais en contact avec les cerveaux du G1000, pour concevoir un dépliant pour lancer la suite du projet.

Un millier de volontaires, et moi, et moi

L’air de rien, le G1000 a demandé presque un millier de volontaires en 2011, et ça les a bien usé ! Alors en 2012 on renouvelle les troupes. Et quand, lors de la première réunion de la cellule communication, je propose mes compétences pour le site web, me voilà définitivement intégré à l’aventure 2012.

Brainstorming site G1000
“Tempête de cerveaux” sur le site du G1000. Avec Lieve Van den Broeck et David Van Reybrouck.

Le travail est immense : il faut refaire tout le site, en 4 langues, le rendre plus complet mais… plus simple ! Et quand je me rends compte que je ne pourrai pas récupérer le code, et que je devrais donc réécrire tout le site, mon estomac se noue : dans quoi me suis-je engagé ? Mais en même temps, si “je veux sauver le monde” , voilà une belle occasion de mettre mes compétences au service d’une cause qui veut faire bouger les choses.

Le jour G !

Ce vendredi 14 septembre était le coup d’envoi du G1000, phase 3. Il fut précédé d’une semaine intense, où le site s’est développé en “flux tendu”. Jeudi minuit, le site était prêt, et vendredi à 9h, il était publié, talonné par l’envoi des dossiers de presse. Ouf ! Ce fut un peu de stress, mais quelle formidable expérience de travailler avec une équipe aussi motivée et compétente ! Et je ne suis pas au bout de mes bonnes surprises : j’ai pu assister à la réunion des 32 citoyens, au Parlement Flamand. Ce fut surprenant et instructif. Mais ça, ce sera pour un prochain article… www.g1000.org

Faut-il mettre fin à la démocratie représentative (élus) et chercher autre chose ?

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Le Hameau, qui défie le pouvoir, l'argent, la peur

Les aventuriers de l’abondance

Imagines que tu prépares une grande fête, avec un buffet assez garni pour nourrir 100 convives affamés. Mais tu décides que seuls les blonds aux yeux noisettes pourront en profiter. Les autres ne pourront que regarder.” Voilà ce que dit Catherine à Murielle, pour résumer la logique de notre société : il y a assez pour tout le monde, mais seuls certains en profitent. Tandis qu’on ne sait que faire de l’excédent.

Bienvenue dans notre société de l’abondance…

Un roman qui ne manque pas de SEL

Philippe Derudder fut chef d’entreprise, mais dégoûté par le système économique auquel il ne croyait plus, est parti en croisade pour trouver une nouvelle voie économique et sociale. Son livre “Les aventuriers de l’abondance” est une fiction, destinée à nous initier aux systèmes d’échange locale (les S.E.L.), et à une autre forme de vie en société.

Nous y suivons Murielle, qui a rencontré Catherine, celle-ci ayant mis en place, dans son hameau, une économie locale qui jette les bases d’une alternative au système monétaire actuel.

Pourquoi rechercher une “alternative au système monétaire actuel” ? Pour revenir à la fonction première de l’argent : une mesure d’échanges de services et de biens, et non créer un enrichissement (comme je le disais l’autre fois devant la caméra : “L’argent n’a pas été inventé pour faire de l’argent” ). Et en conséquence, créer une société plus équitable et moins consommatrice de nos ressources.

Suivons donc Murielle qui découvre les quelques principes qui régissent le Hameau (l’auteur ne lui donne pas de nom, alors je le nomme avec un grand H pour faciliter la suite), perdu quelque part en France…

Le Hameau : un vilage pour une autre société
Le Hameau : un village pour une autre société

Une monnaie fondante et trébuchante

Nous découvrons que le Hameau fonctionne avec sa propre monnaie, base minimum pour prendre son indépendance vis-à-vis des aléas de la société économique qui l’entoure. C’est le “Licorne”.

Et pour éviter que l’argent s’accumule dans les coffres pour servir de rente, plutôt que d’être utilisé comme unité d’échange, il fond ! Le concept n’est pas neuf, il a été imaginé par Silvio Gesell (cocorico, il est à moitié Belge !), au début du XXème, dans son ouvrage “L’Ordre économique naturel”. Et donc le “Licorne” fond : il perd 2 % de sa valeur chaque mois. Conséquence : on a intérêt à l’utiliser, cet argent !

Et voilà comment on fait tourner l’économie locale. Mais il fond pour une autre raison…

Donnes-moi des sous

Guy, fermier installé depuis deux ans, veut restaurer et aménager un bâtiment pour en faire une laiterie-fromagerie : il a besoin de plusieurs corps de métier, présents dans le Hameau. Il va alors chez le Trésorier, car il n’a pas l’argent pour payer ces services. Et le Trésorier… lui donne l’argent qu’il a besoin ! Ce n’est pas un prêt ! Car “l’argent n’est créé que pour financer des richesses réelles sous forme de biens et services” (page 133). Les prestataires de services seront en fait les premiers bénéficiaires de cette nouvelle masse d’argent, qui circulera ensuite pour des échanges commerciaux ordinaires.

Et voilà la deuxième raison de faire “fondre” l’argent : sans ça, la masse d’argent ne cesserait d’augmenter (car je vous le rappelle : Guy a reçu l’argent, il ne l’a pas emprunté), elle n’aurait plus de rapport avec les richesses réelles, il y aurait une inflation.

Ce n’est pas le Moyen-Âge

Oui, bon, est-ce que le Hameau est retourné à l’air du Moyen-Âge, déconnecté de la modernité qu’elle ne peut produire lui-même ? Bien-sûr que non : électricité, voitures et produits manufacturés n’ont pas disparu. Alors, il existe des “passerelles” pour interconnecter les deux mondes, et ses habitants ne manquent pas de conviction pour faire adopter le “Licorne” à des allochtones. Car oui, il ne faut pas habiter sur place pour être sympathisant du système.

Mais je ne m’attarde pas là-dessus, je n’ai pas le talent de l’auteur pour vous en convaincre. Parlons plutôt de philosophie…

Le sens du général

Car évidemment, pour savoir vivre dans le Hameau, il ne faut pas être un consommateur compulsif ! Il faut savoir se contenter de l’essentiel, et cela demande une remise en question de son comportement, de sa manière de vivre. Avec la question essentielle : qu’ai-je besoin pour être heureux ?

Cette introspection, l’auteur ne manque pas de nous le faire vivre au travers de ces personnages, qui ont dû apprendre à laisser tomber les valeurs imposées par notre société de consommation, au bénéficie de la vie en communauté, où l’intérêt de celle-ci compte autant que celui de l’individu.

Ce qui implique de la personne voulant rejoindre le Hameau, qu’elle acquiert un sens élevé de l’intérêt général. Voilà bien un “sens” qui ferait du bien à notre monde, n’est-ce pas ?

Ceci n’est pas une fiction

Philippe Derudder nous a écrit un roman, avec une légère intrigue (un agent infiltré du gouvernement tente de faire saborder le système). Mais il faut surtout le prendre comme un “docu-fiction” (pour reprendre ce terme à la mode). Sans quoi l’histoire serait peu passionnante et ses personnages, donneurs de leçons, très irritants.

Mais des expériences comme le Hameau, cela existe : il suffit de googleler sur “monnaie fondante”, “parallèle” ou “locale” , pour en trouver.

Et il ne faut pas chercher bien loin : le SEL se développe dans certaines régions, comme dans ma commune : je parlerai bientôt du SEL de Jette…

En attendant, je vous laisse avec cet Entretien avec Philippe Derudder sur l’économie, le capitalisme et la spiritualité, qui porte un regard intéressant sur notre capitalisme, et résume l’état d’esprit de son livre.

“Les aventuriers de l’abondance” par Philippe Derudder, 313 pages, éditions Yves Michel

Alors, prêt à vivre dans le Hameau ?

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